Le nouveau Premier ministre Nawaf Salam a rencontré aujourd'hui le président Aoun à Baabda Beyrouth/ Photo: Reuters (Reuters)

En une semaine, le Liban élit un président après deux années sans chef de l'État, et choisit un nouveau Premier ministre, hors du sérail politique habituel.

Nawaf Salam a été soutenu par 84 députés, contre 9 pour Najib Mikati, le Premier ministre sortant, tandis que 35 élus ont voté blanc.

Anthony Samrani, corédacteur en chef du journal L’orient-Le Jour, parle “d’un espoir immense de voir enfin les institutions fonctionner ; on a le sentiment d’être dans un rêve et on se demande ce qu’on va trouver quand on va se réveiller. Il y a beaucoup d’espoir, c’est le symbole et l’émotion qui parlent. Ces deux nominations interviennent après une année qui a été l’une des plus noires que le Liban ait connue récemment“.

Cependant, certains groupes politiques voient dans ces nominations la marque de l’Occident. La nomination de Salam est interprétée comme un résultat des pressions internationales, notamment des États-Unis, de la France et de l’Arabie saoudite. La Communauté internationale conditionne son aide financière au déblocage institutionnel.

Ainsi, Emmanuel Macron se réjouit de la nouvelle situation libanaise. Sur X, il a adressé au Premier ministre libanais tous ses vœux de réussite “pour former un gouvernement au service de tous les Libanais”. “Un espoir de changement se lève”, a-t-il ajouté.

Ce duo peut-il mener les réformes nécessaires ?

Le Liban fait face à plusieurs défis majeurs. Il est exsangue après une terrible crise économique survenue en 2019 et la guerre lancée par Israël le 23 septembre dernier qui a déplacé un million de personnes et détruit le sud du pays. Le pays compte ses morts (4 047 tués) et doit aider plus d’un million de déplacés, les dégâts sont estimés par la Banque mondiale à 8,7 milliards de dollars.

La semaine dernière, l’ONU et le gouvernement libanais ont demandé aux pays donateurs 371,4 millions de dollars pour couvrir les aides humanitaires urgentes à la population touchée par le conflit, les troupes israéliennes sont encore dans le pays et elles bombardent régulièrement des sites comme, lundi encore, la vallée de la Bekaa.

Dans ce contexte, le premier défi qui attend Nawaf Salam, est la formation d’un gouvernement. Cette démarche doit respecter le pacte national et donc inclure des représentants de toutes les communautés. La communauté internationale maintient la pression et exige la nomination d’un gouvernement.

Le second défi est sans doute l’application du cessez-le-feu. Israël a jusqu’au 26 janvier 2025 pour se retirer du Sud-Liban. Néanmoins, pour l’instant, il semble que l'armée israélienne a mis sur pause son retrait. Le général Gordin, responsable du commandement nord de l'armée israélienne, a déclaré à la chaîne israélienne 12 ses doutes sur l’application du cessez-le-feu : “On peut se demander si l'armée libanaise respectera l'accord dans les 60 jours, et je pense que les chances sont minces. Nous ne reculerons pas avant que les conditions ne soient remplies de l'autre côté. Cela doit se faire simultanément“.

La mise en garde est claire : si l'armée israélienne ne se retire pas, le Hezbollah ne le fera pas non plus. Le nouveau président libanais a rencontré, lundi, le représentant de l’armée américaine dans la région, Michael Kurilla, commandant du Centcom et membre du comité de suivi du cessez-le-feu. La teneur des discussions n’a pas été révélée, mais d’ici la fin du mois, l’armée libanaise doit se déployer au sud du pays et le Hezbollah doit se retirer au nord du fleuve Litani et accepter son désarmement.

L’autre urgence sur l’agenda du duo libanais concerne la reconstruction du pays. En effet, la banlieue sud de Beyrouth est endommagée et des villages entiers ont été rasés par les bombes dans le sud du pays. “Le pays a besoin de l’argent des bailleurs internationaux, argent que le Liban n’a pas reçu depuis des années justement parce que la classe politique n’a pas fait les réformes souhaitées,” rappelle Anthony Samrani, corédacteur en chef de L’Orient-Le Jour.

Viendront ensuite des réformes économiques souhaitées par tous, notamment celles du secteur bancaire.

Un duo crédible à la tête d’un régime parlementaire

Le nouveau président et ancien chef de l’armée libanaise a prononcé un discours ambitieux lors de son élection. Lundi, il a promis que l’État libanais aura, sous son mandat, le monopole des armes et le redressement des institutions, la lutte contre les mafias et la fin de l'immunité de certains criminels.

Joseph Aoun envisage aussi de restaurer les relations avec les pays arabes voisins qui n’ont pas toujours été au beau fixe, et de nouer de nouvelles relations avec les nouveaux dirigeants à Damas. Des paroles fortes dans un pays encore traumatisé par la guerre déclenchée par Israël le 23 septembre dernier.

Nawaf el Salam a, lui, promis un retour de l’Etat de droit, des réformes économiques et plus de transparence. Son parcours peut l’aider à convaincre les bailleurs de fonds. Il est juge, il a été ambassadeur pendant dix ans, représentant permanent du Liban à l’ONU, il vient également d’une famille importante au Liban : son grand-père était député dans le parlement ottoman et son oncle a été Premier ministre quatre fois. Il dispose donc du réseau nécessaire.

Enfin les deux hommes défendent en chœur l’idée d’un Liban fort, un Liban qui est la priorité pour toutes les communautés.

Un Liban où les partis politiques ont le dernier mot

Mais le Liban est un régime parlementaire, le président et le Premier ministre ne peuvent avancer qu’avec l’appui des députés. “Le défi qui les attend est énorme mais le simple fait qu’ils soient là aujourd’hui crée une dynamique. La difficulté de leur tâche sera de ne pas céder sur l’essentiel tout en participant au jeu politique. Ils ne peuvent pas gouverner seuls sans les partis, “prévient le corédacteur en chef de l’Orient-Le Jour.

Mais plus qu’un duo de réformateurs, ce qu’ils incarnent à ce jour c’est le retour d’une forme de stabilité avec des institutions qui vont pouvoir fonctionner de nouveau. Anthony Samrani conclut ainsi l’entretien : “Les attentes doivent être mesurées. Si déjà, on arrive à imposer le Liban avant tout, ce sera déjà énorme. Toute la région est entrée dans une nouvelle ère, il y a de nouveaux rapports de force. Le Liban qu’il le veuille ou non va devoir changer et le défi c’est de le faire en intégrant toutes les communautés”.

“C’est un moment clé pour la classe politique libanaise d’autant que la plupart de ses chefs sont âgés.”, ajoute-t-il. Des élections législatives doivent normalement avoir lieu en 2026.

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