La jeunesse dépoussière l’extrême-droite traditionnelle. Si les réseaux de la droite identitaire font, régulièrement, parler d’eux, un épisode est venu les remettre sur le devant de la scène: le meurtre, à Crépol (Drôme), de Thomas, 16 ans. Dans la nuit du 18 au 19 novembre dernier, l’adolescent meurt poignardé à la sortie d’un bal. Très vite, un scénario- revu depuis- impliquant des jeunes “hostiles” venus de La monnaie, quartier populaire de Romans-sur-Isère, se dessine. Très vite, l’affaire s’emballe sur les réseaux sociaux jusqu’à prendre les contours d’un conflit civilisationnel entre les jeunes victimes “blanches” -dont Thomas- d’un côté et ceux de la cité de La Monnaie, accessoirement issus de l’immigration. Si la version a été largement revue depuis par les autorités, ce drame a permis à l’extrême-droite d’alimenter sa narration.
L’occasion de faire le lien avec l’islam est trop belle pour les réseaux d’extrême-droite, qui profitent alors du drame pour réaffirmer leurs combats. Dès le samedi 25 novembre, une centaine de militants de la droite identitaire défilent, cagoulés et armés, dans les rues de Romans-sur-Isère. Tous se dirigent vers le quartier de La Monnaie, d’où serait originaire le meurtrier présumé de Thomas. L’opération tourne au vinaigre. Arrêtés par les forces de l’ordre au terme de violents affrontements, vingt activistes sont interpellés dont 17 placés en garde à vue. Des riverains s’en prennent, de leur côté, à un militant qui sera molesté. Des vidéos circulent sur Twitter. On y voit des jeunes supposés de La Monnaie s’en prendre à un militant, le déshabiller, alors que ses complices ont pris la poudre d’escampette. A Lyon, d’autres militants battent le pavé, le lundi suivant, aux cris de “Français, réveille-toi ! Tu es ici chez toi !”. D’autres rassemblements ont lieu à Laval, Grenoble, Reims ou Paris.
Dans la capitale, un rassemblement, prohibé par la préfecture de Paris, est finalement permis par un tribunal administratif. Il réunit, le 2 décembre, 200 personnes sur la place du Panthéon, monument qui rappelle la “reconnaissance de la Patrie” aux “grands Hommes” de la Nation…De multiples appels à la vigilance sont diffusés sur les réseaux sociaux enjoignant aux personnes issues de l’immigration d’éviter les zones investies par les militants d’extrême-droite.
Un terme, venu du passé obscur français, est exhumé. Ratonnade. Si la résurgence du mot est frappante, elle témoigne bien d’un “épisode de plus dans l’histoire des violences à caractère raciste”, souligne Sylvie Thénault, historienne et autrice, notamment, du livre Les ratonnades d’Alger, 1956, paru au Seuil (2022). Ce vocable est typique de la période coloniale puisqu’il qualifie, dans l’entre-deux-guerres, les violences perpétrées contre “les ratons”, les hommes Nord-Africains, Algériens pour l’essentiel, précise-t-elle. Une origine politique qui rend le mot- aujourd’hui repris par la gauche pour désigner les violences racistes- pas du tout neutre quoique légitime.
“Le terme a été utilisé par Paulette et Marcel Péju, un couple de militants anticolonialistes”. En 1961, il publie Ratonnades à Paris quelques semaines après le massacre du 17-octobre mené par la police française (sous les ordres du préfet de Paris, Maurice Papon, ancien haut-fonctionnaire de Vichy, condamné en 1998 pour complicité de crimes contre l’humanité). Edité par Maspero, le texte est immédiatement saisi chez l’imprimeur par la police judiciaire. Une censure qui épaissira le mensonge de l’Etat français autour du 17-octobre 1961, répression sanglante de militants algériens indépendantistes en plein Paris. Un mot chargé, donc, et directement issu de la colonisation et de l’Algérie coloniale mais qui éclaire les défilés de l’extrême droite vus ces dernières semaines. Comme l’explique Sylvie Thénault, “nous n’avons pas d’autre mot pour qualifier ces événements car la dimension raciste est la même”. Mais aussi parce que les mouvements qui se sont exprimés après Crépol visent, spécifiquement, les Arabes, les Maghrébins ou les musulmans pour ce qu’ils sont. “Ces défilés ciblent ces populations dans une optique raciste avant tout”, ajoute-t-elle.
Cette similitude rappelle une réalité. L’extrême-droite française actuelle provient de la colonisation et de la décolonisation. D’ailleurs, S.Thénault le montre bien. Les ratonnades actuelles portent trois aspects : “le racisme, la volonté de porter atteinte à l’ordre public” et prendre en main la sécurité.
Alors que Marine Le Pen, députée française du Rassemblement national, ancienne chef du parti et fille du fondateur du Front national, Jean-Marie le Pen, a largement entamé et même réussi sa mue en politique fréquentable, le fonds doctrinal de sa formation et de ses idées reste le même. L’extrême-droite française s’inscrit dans le sillage de l’histoire coloniale et le vote de la nouvelle loi censée réguler l’immigration en est un exemple probant. Au-delà de la pénétration des idées de Le Pen dans la société française et ses lois, elle poursuit le dessein de Le Pen père, la “préférence nationale” et, en creux, une manière de venger la perte de l’Algérie. Il y a de cela dans ces pics racistes. Un impensé colonial loin d’être réglé, une blessure narcissique dont les ressacs se manifestent à travers l’usage des termes. Comme le note Sylvie Thénault, “dans les années 80, on parlait des hommes arabes. Puis, le mot musulman est revenu. Je suis toujours surprise de voir ces catégories et ces termes, issus de l’époque coloniale, survivre et revenir au grès de l’actualité”.