Le film sort en salles le 12 octobre (AA)

L’intrigue ne surprendra personne, et pourtant c’est une attente fébrile qui précède la sortie en salles du film Les Harkis.

A la fin des années 50 et au début des années 60, la longue guerre d’Algérie arrive enfin à son terme. Trois ans avant l’indépendance algérienne, Salah, Kaddour et d’autres jeunes Algériens sans ressources s’engagent comme dans une "harka" commandée par le lieutenant Pascal. Bientôt le sort des harkis paraît très incertain. Le lieutenant Pascal, en tentant d’obtenir le rapatriement des harkis, en vient à s’opposer à sa hiérarchie pour obtenir leur départ pour la France.

Le film sort en salles le 12 octobre. Rencontre avec Philippe Faucon, le réalisateur.

Comment s'est déroulé le casting pour les comédiens algériens ? Comment l'idée du film a été perçue ? Aviez-vous des craintes à ce sujet ?

Le casting du film (de même d’ailleurs que l’ensemble de la préparation et le tournage) s’est déroulé sur une période très compliquée, celles des vagues successives de Covid de 2020 et 2021. Sur cette période, l’Algérie a complètement fermé ses frontières pendant plus d’un an et demi. Et donc, l’idée d’y tourner le film, (que j’ai eu un temps, même si je savais que le sujet restait sensible là-bas) a très vite été abandonnée, pour commencer des repérages au Maroc (car les repérages devaient être commencés très en amont du tournage afin d’avoir le temps de construire les décors, préparer le tournage, etc). Par contre, pour moi, il était évident que les personnages algériens du film devaient être joués par des Algériens. Nous avons donc parallèlement commencé un casting en Algérie, les frontières étant censées se rouvrir avant que le tournage ne commence. Pendant cette période de casting (sur dix mois), tout s’est donc passé à distance. Je ne pouvais pas me rendre en Algérie, mais je recevais des essais faits là-bas par le directeur de casting algérien, Fouad Trifi, qui a créé en Algérie l’agence Woojooh. Au moment de leur premier rendez-vous, la première réaction que tous les comédiens ont eu en apprenant le sujet n’était pas forcément fermée à priori. Elle a été de dire : "Tout dépendra du scénario". Ensuite, l’ayant lu, le projet n’a jamais posé aucun problème. Les comédiens disaient : "C’est un rôle. Et un rôle qui m’intéresse, car ce personnage, je peux comprendre quelque chose de lui. Donc, je peux le jouer". Pour ma part, je n’avais pas particulièrement de crainte. Une réaction d’incompréhension est toujours possible, mais je n’ai jamais pensé que le scénario provoquerait du rejet.

Vous montrez que l’entraînement des harkis était sommaire. Presque une parodie. Un des protagonistes dit bien qu’ils étaient envoyés au premier rang des combats, comme des remparts humains pour les Français de souche.

Disons que pour un nombre important, c’était des fellahs (des paysans), qui du fait de la guerre n’avaient plus de moyens de vivre et qui ont dû apprendre le maniement des armes. Lorsque la mère de Salah lui dit : "Ils envoient nos hommes les premiers, parce qu’ils cherchent à épargner les leurs", il y a sans doute aussi, s’ajoutant à sa perception de la guerre en cours, le souvenir des guerres précédentes de la France. De fait, pour certains cadres de l’armée (et je précise bien : pour certains), les harkis ont sans doute été des soldats dont la perte comptait moins que d’autres. J’ai le souvenir d’une lecture où un officier s’indigne et doit insister parce que, réclamant un moyen d’évacuer des blessés, on lui demande de préciser s’il s’agit de militaires français ou de harkis. On ne veut pas risquer la perte d’un hélicoptère ou d’un équipage pour évacuer des supplétifs.

On peut voir l'effort que vous avez fourni pour distinguer les trois niveaux : Algériens, Français, Algériens pour la France. Qu'est-ce qui a été le plus dur pour faire en sorte que ces trois récits cohabitent ?

En faire un vrai récit, qui ne soit pas juste une bonne intention louable. Benjamin Stora dit que la mémoire de la guerre d’Algérie est un entremêlement de douleurs : celle des Algériens, celle des harkis, celles des appelés et celle des Pieds Noirs. Ces douleurs s’excluent parfois entre elles, n’acceptant que leurs vérités, qu’elles débarrassent de toute part dérangeante. Mais même si ces visions "fermées" demeurent encore aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il y a une différence avec l’époque où j’ai fait le film "La Trahison". Les dogmes idéologiques défendus de part et d’autre (de façon parfois très aveugle ou sectaire) par les générations qui ont vécu la guerre ou celles qui ont suivi immédiatement, ne sont pas toujours repris par les générations d’après.

Le mot harki n'est pas vraiment utilisé. Vous utilisez plutôt l'expression : Algériens pour la France, durant le film. Pourquoi avoir choisi de titrer votre film Les Harkis dans ce cas ?

Le mot harki est quand même utilisé plusieurs fois, puisque c’était le vocabulaire de l’époque. J’ai essayé d’imaginer d’autres titres, mais j’ai finalement gardé celui-là, qui était le premier à être venu. Pour moi, le fait de poser le mot seul (au pluriel puisqu’il désigne un ensemble de gens), mais sans rien dire d’autre, ni dans un sens ni dans un autre, ça énonce que de fait, ils sont là. Qu’on le veuille ou non, ils sont une part de l’histoire de la France, qui les a créés. Même si elle a ensuite cherché à les cacher et à les oublier. Ils sont là. Leur histoire fait partie de la nôtre.

Il n'y a pas beaucoup de scènes de tortures ni d'attaques, c'est assez léger : un choix également pour ne pas heurter les sensibilités ?

Il y a deux scènes de torture dans le film, filmées de façon assez frontale, ce qui n’est quand même pas qu’un choix elliptique, pour un film d’1 h 22 ! Ces deux séquences font intervenir le même personnage, celui d’un harki tortionnaire. Et il a parfois été difficile, pour certains spectateurs descendants de harkis, de se retrouver face à cette représentation, même sachant que certains harkis ont pratiqué la torture (tout comme certains appelés et certains éléments du FLN). Je réponds à leurs remarques que si le film montre un harki tortionnaire, il montre aussi que tous ne l’ont pas été. Les violences du FLN sont d’ailleurs dites elles aussi. La guerre d’Algérie, c’est une période d’extrême pratique de la violence, par les deux camps. Il n’est donc pas possible d’aborder cette guerre dans un film en occultant cette violence ou en la minimisant. Mais il ne s’agit pas non plus de faire de cette violence un spectacle trouble ou quelque chose de l’ordre de la fascination consumériste. On ne voit pas beaucoup de combats, parce que la guerre d’Algérie, du fait de la disproportion des forces en présence, c’est une guerre d’usures, d’attentes, d’embuscades, de marches harassantes à la recherche d’un adversaire invisible, avec un sentiment de plus en plus grandissant d’inutilité.

Trois figures structurent le scénario : Salah, qui finira par crier “Vive l’Algérie”; Pascal, jeune lieutenant français, idéaliste et lucide ; et enfin Krimou, un fellagha devenu harki et envoyé sous couverture dans les rangs de ses anciens amis… Comment les avez-vous choisies et construites ?

Ce sont trois figures représentatives. Disons qu’il y en a aussi une 4ème, celle de Kaddour, qui s’enrôle en même temps que Salah, pour des raisons identiques, mais finira, lui, égorgé. Salah et Kaddour se sont engagés sans conviction pro-française très ancrée, par nécessité de survie. Sans l’avoir suffisamment mesuré, ils se retrouvent dans une situation qui les met en porte-à-faux vis-à-vis des populations civiles algériennes, qui les voient maintenant comme les instruments des répressions qu’elles subissent de la part de l’armée française. La nécessité de faire vivre leur famille fait qu’ils anesthésient toute pensée en eux. Comme pour beaucoup d’autres, la prise de conscience est tardive et au terme de leurs itinéraires, Kaddour sera victime de la colère aveugle engendrée par les années d’oppression subies. Salah seul parvient à l’émancipation.

Pourquoi avez-vous voulu revenir sur ce sujet (d'ailleurs encore tabou, mais plutôt tabou du côté Français aussi, avec les camps ici etc) ?

Justement parce que c’est un sujet tabou ou qu’on a préféré oublier. Alors qu’au contraire, il est nécessaire aujourd’hui de le regarder en face. Concernant les camps, d’ailleurs, je trouve qu’il y aurait un film à faire sur ce sujet, qui manque aujourd’hui dans le cinéma français. J’ai une amie, fille de harki, qui a commencé à travailler sur un scénario où elle raconte son enfance et son adolescence, dans l’un de ces camps du sud de la France. J’espère vraiment qu’elle réussira à faire ce film.

Vous avez une chronologie très précise : vous avez donc pu vous appuyer sur des archives ou vous avez inventé une chronologie dans la période connue ?

Non, cette chronologie n’est pas inventée. Elle correspond au fait que le récit est construit en trois périodes, comme trois actes. Lorsque le film commence, on est en septembre 1959. Les personnages du film intègrent une "harka". Le 16 septembre, le général De Gaulle fait un discours dans lequel, si on est attentif à ce qu’il dit, on peut entendre pour la première fois qu’il a décidé d’une politique qui peut mettre en place l’autodétermination et donc mener à l’indépendance. Mais en même temps, on continue de recruter des harkis, car on veut gagner militairement sur le terrain, pour négocier en position de force avec le FLN. Dans la deuxième partie, on est en juin 1960. Pour la première fois, des émissaires français rencontrent à Melun des représentants du FLN. Dans le film, on dissimule ce fait aux harkis, qu’on envoie sur le terrain pour les soustraire aux rumeurs qui circulent. Dans la troisième partie, on est en 1962. Le cessez-le-feu a été signé. Les harkis sont désarmés. Un piège se referme sur les personnages qu’on a vu intégrer une "harka" au début de l’histoire. La chronologie se poursuit dans les cartons qui concluent le film, car là aussi, elle situe par des dates un processus tragique qui s’accélère et s’amplifie.

TRT Francais