L’intégration de plus de 60 000 étudiants syriens favorise une plus grande internationalisation des établissements d’enseignement supérieur et encourage les collaborations entre universitaires turcs et syriens. (Others)

Par Prof. Faruk Tasci, directeur du Centre des étudiants internationaux de l’Université d’Istanbul

Dans les amphithéâtres animés des universités turques, une dynamique diplomatique subtile mais profonde est en train de se dessiner. En une décennie, la Turquie a multiplié par six sa population estudiantine internationale, un essor largement porté par les Syriens.

Sur les 336 000 étudiants étrangers présents dans le pays, plus de 60 000 sont syriens, ce qui en fait la plus grande communauté estudiantine étrangère de Turquie. Ce chiffre a été multiplié par trente depuis 2013, les Syriens représentant aujourd’hui près d’un cinquième des étudiants internationaux.

Mais la présence de ces jeunes universitaires ne se résume pas à un simple investissement éducatif : il s’agit d’un véritable levier stratégique entre Ankara et la Syrie d’après-guerre, avec une influence qui s’étend bien au-delà des salles de classe.

A ce titre, l’ascension d’Asaad Hassan al Shaibani, un diplômé de l’université Istanbul Sabahattin Zaim récemment nommé ministre syrien des Affaires étrangères, illustre parfaitement cette dynamique.

Shaibani, qui poursuit actuellement des études pour obtenir un doctorat dans la même institution, a consacré son mémoire de master à la politique étrangère turque envers la Syrie, témoignant de l’intense échange intellectuel et politique en cours.

Shaibani, a consacré son mémoire de master à la politique étrangère turque envers la Syrie. (AA)

Et il n’est pas un cas isolé : Azzam al-Gharib, récemment nommé gouverneur d’Alep, est un autre ancien étudiant, diplômé en études islamiques de l’université de Bingöl, dans l’est de la Turquie.

Ces diplômés, désormais intégrés aux cercles du pouvoir en Syrie, incarnent ce que l’universitaire américain Norman Kiell qualifiait en 1951 “d’ambassadeurs officieux”.

À mesure que de plus en plus d’étudiants syriens retournent dans leur pays, beaucoup occuperont des postes clés, emportant avec eux non seulement un bagage académique, mais aussi une compréhension profonde des stratégies turques.

Parallèlement, d’autres grandes communautés étudiantes, venues d’Azerbaïdjan, d’Iran, du Turkménistan et d’Irak, témoignent de l’essor des liens éducatifs tissés par la Turquie à l’échelle régionale.

De la salle de classe aux sphères diplomatiques, économiques et culturelles

Au-delà du domaine politique, ces étudiants participent activement au renforcement des échanges économiques et culturels entre Ankara et Damas.

D’après l’Agence de planification d’Istanbul (IPA), les étudiants internationaux injectent près de 2,9 milliards de dollars par an dans l’économie turque, dont 522 millions générés par les Syriens.

L’année dernière, lors d’un événement à l’université Marmara d’Istanbul, le président Recep Tayyip Erdogan a mis en exergue l’influence croissante des étudiants étrangers en Turquie, à la fois comme moteur économique et comme vecteur d’influence internationale.

Il a notamment mis en avant que 95 % d’entre eux financent eux-mêmes leurs études, un indicateur clé du rôle émergent de la Turquie en tant que pôle éducatif mondial.

Avec l’augmentation du nombre d’universités – passées de 76 en 2002 à 208 aujourd’hui – et des opportunités attractives telles que les bourses du YTB (Présidence pour les Turcs de l’étranger et les communautés apparentées), la Turquie devient désormais comme la septième destination d’études la plus prisée au monde, derrière les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, l’Australie, la France et l’Allemagne.

L’intégration de plus de 60 000 étudiants syriens favorise une plus grande internationalisation des établissements d’enseignement supérieur et encourage les collaborations entre universitaires turcs et syriens. (AA)

La présence croissante d’étudiants et d’anciens diplômés étrangers stimule également les relations commerciales : familiarisés avec les marchés et les pratiques économiques turques, ces jeunes établissent des réseaux d’échanges après leur retour.

À bien des égards, ils sont appelés à devenir des “ambassadeurs du commerce” pour la Turquie dans l’ère de reconstruction syrienne.

Parallèlement, le paysage académique turc s’enrichit.

L’intégration de plus de 60 000 étudiants syriens favorise une plus grande internationalisation des établissements d’enseignement supérieur et encourage les collaborations entre universitaires turcs et syriens.

À terme, ces diplômés joueront un rôle clé dans le développement des échanges académiques, la mise en place de projets de recherche communs et l’établissement de nouvelles initiatives diplomatiques entre les deux pays.

Pour exploiter pleinement ce potentiel, la Turquie est appelée à élaborer une véritable “stratégie pour les étudiants et diplômés syriens”, en s’inspirant des modèles américain et britannique qui cultivent depuis des décennies des réseaux d’anciens étudiants exerçant des fonctions influentes à travers le monde.

On compte actuellement au moins 54 dirigeants de pays ayant été formés aux États-Unis. Le Royaume-Uni suit une trajectoire similaire, avec au moins un haut dirigeant dans 53 pays différents ayant étudié sur son sol.

Dans ce contexte, la Turquie dispose d’un modèle inspirant à suivre.

Pour entretenir des liens solides avec ces étudiants internationaux qui contribuent à son rayonnement sur plusieurs fronts, la Turquie a tout à gagner à investir dans des réseaux actifs d’anciens élèves qui présentent le potentiel de garantir une communication et une collaboration directes, sans passer par des intermédiaires.

En misant sur ces étudiants, la Turquie ne se contente pas de former une génération : elle jette les bases d’un partenariat régional durable.

Alors que la Turquie s’attelle à consolider son statut de destination éducative mondiale, ces étudiants jouent un rôle clé non seulement dans l’économie, mais aussi dans l’évolution de la diplomatie culturelle du pays.

TRT Français et agences