Le cacao a désormais un goût aigre et amer pour des millions de petits producteurs africains, au regard de la baisse constante de leur rémunération. L'Afrique ne profite pas suffisamment du très lucratif marché du cacao.
Le malaise est tel qu'au fil des années, 70% des petits planteurs du Ghana par exemple, n'arrivent plus à vivre convenablement de leur labeur. D'après un rapport de l'ONG britannique OXFAM de mai 2020, les cacaoculteurs ghanéens gagnaient à peine 60 dollars par tonne de cacao, ce qui les maintient largement en dessous du seuil de pauvreté, fixé à un dollar par jour par les Nations unies.
"Il y a beaucoup d'argent dans le chocolat, mais certainement pas pour les agriculteurs. Les producteurs de cacao travaillent extrêmement dur, dans des conditions exténuantes, mais ne peuvent pas toujours nourrir leur famille", a souligné Amitabh Behar, directeur exécutif par intérim d'Oxfam dans un communiqué diffusé à la suite de la publication du rapport.
Sur un plan global, les pays africains (Côte d'Ivoire, Ghana, Nigeria, Cameroun) qui fournissent 70% de la production mondiale de cacao tirent à peine 7 % d'un marché estimé à 130 millions de dollars.
De quoi conforter la position de ceux qui, en Afrique pensent que la production de cacao est "la culture de la soumission à l'ordre colonial".
La Côte d'Ivoire et le Ghana qui assurent 60 % de la production mondiale de cacao sont à la tête d'un mouvement visant à inverser la tendance. Depuis quatre ans, ils font la promotion d'une taxe appelée Différentiel de Revenu Décent. Le DRD est appliqué aux acheteurs à hauteur de 400 dollars la tonne de cacao. L'objectif est de garantir aux paysans un revenu acceptable.
Cap sur la bourse du cacao
Mieux, ces deux pays aidés par l'Organisation Internationale du cacao (ICCO) s’activent pour la création d'une bourse du cacao en Afrique. L'initiative existe depuis quatre ans. La dernière réunion relative à la faisabilité de cette structure s'est tenue le 23 juin 2023 à Accra au Ghana.
" La création d'une plateforme d'échange de cacao africain fait partie intégrante de nos aspirations collectives, quant à l'obtention d'une industrie de cacao modernisée, ainsi qu'une chaîne de valeur productive. Cela permettra aux producteurs de prospérer ", a souligné Bryan Acheampong, ministre ghanéen de l'alimentation et de l'agriculture.
"Ce serait une bonne chose que d'avoir cette bourse du cacao sur le continent, s'enthousiasme Germain Salla, directeur de l'Institut des matières premières de Douala (une école de formation spécialisée). Au-delà des contraintes techniques pour sa mise en place, cette bourse permettra de domestiquer le commerce du cacao. Il y aura un certain contrôle (...). Ensuite, il faudra compter avec la gestion de tous les flux financiers qui tournent autour du cacao. Enfin, les petits producteurs gagneront un peu plus."
Pour autant, le directeur de l'institut des matières premières de Douala est réservé sur l'approche adoptée par le Ghana et la Côte d'Ivoire pour la mise en place de la bourse du cacao.
"Nous sommes dans une guerre économique, il ne faut pas l'oublier insiste-t-il. En réalité, les pays producteurs de cacao doivent mettre en place des stratégies pour s'imposer et tirer le meilleur de leur travail."
Au delà de la bourse
En cela, la bourse du cacao ne serait qu'un élément clé d'une stratégie conquérante qui se décline en quatre points:
La production, la transmission , la consommation et la commercialisation (PTCC).
Concernant la production, "l'Afrique contrôle déjà l'essentiel du marché du cacao avec au moins 70 % des parts de marché".
La transformation devrait constituer une priorité pour les pays africains producteurs de cacao, insiste Germain Salla.
"Si nous décidons de domestiquer le broyage du cacao, en interdisant l'exportation des fèves brutes, rien que ce premier niveau de transformation aura des effets bénéfiques sur toute la filière. Vous n'imaginez pas ce que cela va générer en termes de flux financiers, d'emplois et d'impôts. Voyez- vous, c'est une question de volonté politique, de vision et de stratégie."
Consommer local
Concernant la consommation, de gros efforts s'imposent. Un Suisse consomme près de 9 kilogrammes de chocolat par an contre 8 kilogrammes pour l'Allemand ou l'Autrichien, d'après Euromonitor. Quid de l'Africain alors ?
"Qui contrôle la consommation contrôle le marché, insiste Germain Salla. Si les autres consomment du chocolat, pourquoi ne le faisons-nous pas? Il faut initier de réelles politiques de consommation de nos produits. Si un pays comme la Côte d'Ivoire consomme 50% de sa production, cela impactera toute la chaîne de production. Les petits producteurs le ressentiront."
Logiquement, la transformation locale et la consommation domestique du cacao impacteraient positivement la commercialisation du cacao africain sur le marché international. En cela, l'avènement de la ZLECAF, la zone de libre-échange continentale, avec un marché potentiel de 800 millions de consommateurs est une opportunité pour faire du cacao un catalyseur du développement économique du continent.
L'Afrique qui produit 70% des fèves de cacao tire à peine 7% d'un marché de 130 milliards de dollars.
Au-delà de l'idée de création d'une bourse du cacao, l'Afrique a toutes les cartes pour profiter pleinement de l'industrie du cacao. Il n'y a aucune fatalité : c'est une question de vision et de volonté politique !