Par Bassam Bounenni
Marine Le Pen rate, donc, son grand chelem, après deux victoires d’affilée en moins d’un mois, d’abord aux élections européennes, puis au premier tour des législatives anticipées.
Mais, la figure de proue de l’extrême droite française évite de concéder une défaite surprenante. Le mot n’existe tout simplement pas dans son vocabulaire, même à l’époque où elle se contentait du statut de candidate malheureuse à l’élection présidentielle, en 2017, puis en 2022.
Le langage des chiffres
En chiffres, le RN ne s’en sort pas pour autant perdant. Il est passé, en effet, de 8 sièges à l’Assemblée nationale, en 2017, à 89, en 2022, avant d’en rafler 143. Il est vrai que le parti d’extrême droite était donné gagnant du second tour des législatives, des sondages ayant même prédit qu’il raterait de près la majorité absolue. Mais, en pratique, il s’est doté du troisième plus grand bloc parlementaire du pays.
Le chef de file du parti, Jordan Bardella assume la responsabilité "tant dans la victoire aux élections européennes que dans la défaite" aux législatives.
Le jeune dirigeant du RN table, tout comme son parti, sur le mécontentement populaire, dû essentiellement aux inégalités croissantes et la perte de confiance dans les institutions de l’Etat.
Mais, loin d’offrir des alternatives aussi raisonnables que pratiques, le RN opte pour une approche simpliste, imputant tous les maux de la France aux étrangers. Malgré des mises en garde contre la mise en péril de l’unité du pays, le parti voit son électorat s’élargir.
Une affaire de société
En moins de 7 ans, le nombre des voix obtenues par l’extrême droite a plus que triplé, passant d’environ 3 millions à plus de 10.6 millions ; une évolution étonnante qui coïncide avec un état de détachement de la politique de plus en plus flagrant chez une frange conséquente de la société française.
Les résultats de la European Values Study, une enquête conduite entre 2017 et 2020 sur un échantillon de 60 mille ressortissants de 34 pays européens, sont pour le moins inquiétants : 23% des Français jugent que le pouvoir autoritaire d’un homme fort est un bon système politique, tandis que 13% disent la même chose pour un gouvernement de l’armée.
Aux élections européennes du 9 juin dernier, le RN est arrivé en tête dans 93% des communes françaises, avec des scores particulièrement élevés dans les communes rurales et dans les couronnes des villes.
Paradoxalement, le tournant du 7 juillet a été ressenti comme une réaction sociétale plutôt qu’un vote politique réfléchi. En effet, le NFP remporte haut la main les législatives, bien que terrassé par des divisions de fond.
Le député macroniste sortant, Vincent Thiébaut, prend ses distances du Président Emmanuel Macron, en déclarant sur France Info TV, que le locataire de l’Elysée n’était pas assez attentif aux cris d’alerte lancés par ses pairs de la majorité présidentielle. "Nous sommes dans une ambiance des années 1930", regrette-il.
Les prédispositions de "l’Etat profond"
Signe annonciateur de cette polarité aggravée d’extrémisme qui s’enracine de plus en plus dans les institutions de l’Etat, une vingtaine de généraux et des centaines de militaires publient, dès 2021, une pétition dans laquelle il brandissent la menace de "l’intervention de nos camarades d’active dans une mission périlleuse de protection de nos valeurs civilisationnelles et de sauvegarde de nos compatriotes sur le territoire national".
La montée du RN ne s’est pas faite attendre dans les plus hautes sphères militaro-sécuritaires. A la veille des élections européennes, 58% des policiers et des militaires se déclaraient prêts à voter pour les "droites radicales", auxquels s’ajoutent 41% des employés de la fonction publique.
M. Bardella leur renvoie l’ascenseur, en déclarant, à une semaine du premier tour des législatives, qu’il allait écarter les binationaux des postes "stratégiques" de l’Etat.
Marine Le Pen s’est investie, depuis plus d’une décennie, dans une campagne de dédiabolisation, rendant une visite surprise au grand imam d’Al-Azhar, en 2015, ou prenant part à la marche contre l’antisémitisme, en octobre dernier. La prétendante à l’Elysée se veut fréquentable. Et, tout comme Jordan Bardella, elle croit que la victoire de l’extrême droite en France n’est que "différée".