“Faire campagne en vers et gouverner en prose”. Ce célèbre adage s’appliquera-t-il à la politique étrangère du Rassemblement National en cas de victoire aux prochaines élections législatives, plus particulièrement s’agissant de ses relations avec l’Algérie ?
Confronté à une situation géopolitique complexe, l’éventuel futur Premier ministre Jordan Bardella devra de toute évidence composer avec cet interlocuteur majeur dont il a longtemps fait une cible privilégiée. En pratique, le passif colonial de la France sera l’un des principaux points d’achoppement qui pourraient envenimer les relations entre les deux pays.
Le président de la formation d’extrême-droite a en effet exprimé à de nombreuses reprises son opposition à la demande de repentance exigée par Alger. “Il faut reconnaître des souffrances de tous les côtés et nous rejetons toute forme de culpabilité collective imposée à la France”, avait-il ainsi martelé. Son mentor en politique, Marine Le Pen n’est pas en reste sur le sujet.
En digne fille de son père, Marine Le Pen a rarement raté une occasion de déverser son fiel sur l’Algérie et ses demandes d’excuses. Elle aussi rejette l'idée de la repentance officielle pour les crimes commis pendant la guerre d'Algérie, arguant que cela “affaiblit la position de la France et divise les Français”. Pis, elle est même allée jusqu’à glorifier le rôle de son père, Jean-Marie, en tant que militaire en Algérie. Un passé pour le moins controversé en raison des multiples accusations de torture.
“Le RN abrite et attire beaucoup de nostalgiques de l’Algérie française”
Interrogé par TRT Français, le géopolitologue Adlene Mohammedi, estime de son côté que les élans anti-algériens des cadres du RN vont rapidement se heurter au principe de réalité.
“Une victoire du RN ne serait évidemment pas neutre. Ce parti abrite et attire beaucoup de nostalgiques de l’Algérie française, et en cela, des crispations sont à prévoir, notamment sur les questions mémorielles”, affirme le géopolitologue.
Les grands discours du RN à usage interne, ajoute-t-il, “risquent de se heurter à la réalité au moins à trois niveaux. D’abord, parce que le Président de la République n’a pas vocation à délaisser la politique étrangère en cas de cohabitation. Ensuite, parce que la coopération entre les deux pays va bien au-delà des conjonctures politiques (intérêts communs en matière de sécurité et de renseignement, par exemple). Enfin, parce que le RN a tendance à amplifier – à des fins électoralistes – l’importance de certains points ou sa propre capacité à tout changer”.
Un avis que semble partager (sous couvert d’anonymat pour des raisons de neutralité diplomatique), un ancien ministre algérien, contacté lui aussi par TRT Français. “Le changement de majorité en France a très peu d'impact sur les intérêts stratégiques de l'Algérie. Si l’extrême-droite arrive au pouvoir, ça ne changera absolument rien pour nous. L’Algérie ne fait rien sous la pression, c’est un de ses fondements”.
S’agissant du refus d’Alger de délivrer les laissez-passer consulaires pour ses ressortissants sans-papiers, élément central du discours anti-immigration du RN, cet ancien membre éminent de la classe politique algérienne relativise également sa portée. “Ils ne nous feront pas délivrer plus de laissez-passer consulaires, ne vous inquiétez pas…Cela fait quarante ans que j'entends les mêmes choses. Quelle que soit la majorité qui arrivera en France, elle n'imposera absolument rien en termes de rapatriement à l'Algérie !”
Même son de cloche du côté du chercheur Adlene Mohammedi qui estime que cela n’aura pas non plus de grandes conséquences sur les relations entre les deux pays. “Sur les laissez-passer consulaires, on voit mal pourquoi Alger et Rabat se mettraient miraculeusement à en délivrer davantage alors que le chantage aux visas a déjà été pratiqué et n’a pas infléchi la position des deux pays”.
Autre éventuel point de discorde important, les accords franco-algériens de 1968, à qui le RN reproche de faciliter l’immigration des algériens en France. Adlene Mohammedi modère également son importance. “Les dirigeants du RN ont tendance à en exagérer le contenu. N’oublions pas qu’il en a beaucoup été question au moment du projet de loi immigration. Le gouvernement voulait négocier un nouvel avenant à cet accord, mais pas le dénoncer unilatéralement. Et le Président disait déjà que ce n’était pas à l’Assemblée nationale de décider de la politique étrangère de la France”, déclare-t-il.
“Sur le fond, les dirigeants du RN semblent penser qu’il confère des avantages aux ressortissants algériens. Dans les faits, le droit des Algériens ne se distingue que très peu de celui des autres étrangers hors-UE. Les Algériens en France sont même souvent défavorisés”, poursuit le géopolitologue.
De son côté, l’ex-ministre algérien va plus loin et assure que son pays est prêt à renégocier cet accord si la France était amenée à le dénoncer. “Tout d’abord, la dénonciation est un acte inamical, ce n’est pas le contenu lui-même qui pose problème. Et je vais même vous dire quelque chose qui va surprendre beaucoup de gens qui s'intéressent au dossier français : les premiers à vouloir les dénoncer, ce sont les Algériens ! Nous avions en effet envisagé de les dénoncer dans les années 70 puis dans les années 80 (…) Qu'est-ce que cet accord apporte à notre diaspora ? Le droit communautaire et le droit interne français octroient plus d’avantages que les accords de 1968. Deuxièmement, ces accords sont le fruit d’une demande de la France qui faisait suite aux fameuses trente glorieuses, La France avait besoin de main-d'œuvre, notamment dans le secteur de l'industrie, la pétrochimie, les mines et le bâtiment”.
“Le RN n’a pas intérêt à rompre les relations avec l’Algérie”
Certains spécialistes en relations internationales envisagent toutefois l'hypothèse d'une rupture diplomatique entre les deux pays si le programme du RN devait être appliqué. Ce scénario n’est pas le plus probable selon Adlene Mohammedi. “On ne peut totalement l’exclure, mais je ne pense pas que ce soit le scénario le plus probable. Encore une fois, le président français ne laisserait pas un gouvernement RN décider seul des relations franco-algériennes”, fait-il remarquer.
Du côté algérien, la prudence est également de mise. Attendu en octobre prochain pour une visite officielle à Paris, le président Abdelmadjid Tebboune, ne s’est pour l’instant pas exprimé sur la situation politique en France. “Là encore, je pense que les dirigeants algériens se montreraient prudents. Ce serait peut-être utilisé dans le cadre de la campagne présidentielle algérienne, mais les dirigeants algériens n’ont a priori pas vocation à aller très loin dans le commentaire d’une affaire intérieure française. Et je pense qu’ils voudront conserver l’Elysée comme principal interlocuteur”, rassure Adlene Mohammedi.
L’ancien Ambassadeur Xavier Driencourt pressenti pour diriger le Quai d’Orsay
Fortement pressenti pour diriger le Quai d’Orsay en cas de victoire du RN, l’ancien ambassadeur de France à Alger de 2008 à 2012 puis de 2017 à 2021, Xavier Driencourt, risque d’être un point de crispation majeur entre les deux pays. Diplomate chevronné, connu pour ses positions dures contre l’institution militaire algérienne qu’il accuse de ne “comprendre que les rapports de force”, sa nomination serait perçue à Alger comme un acte d’hostilité.
“Une telle nomination ne serait pas vraiment innocente. Xavier Driencourt a été deux fois ambassadeur en Algérie, et faire de lui un ministre des Affaires étrangères reflèterait nécessairement une certaine importance accordée au dossier algérien. Dans la mesure où il est sorti de sa réserve pour critiquer ouvertement le pouvoir algérien, ce serait forcément perçu comme un geste hostile", dit Mohammedi.
Le géopolitologue ajoute: "Driencourt a notamment contribué au débat autour de l’accord de 1968 et a semblé dubitatif face aux pas d’Emmanuel Macron en direction des dirigeants algériens. Il pourrait donc représenter la fin de l’entreprise de réconciliation des mémoires voulue par Macron. Mais encore une fois, s’il venait à diriger la diplomatie française, ce serait en tant que diplomate prudent plutôt qu’en essayiste ou en polémiste”.
L’ancien responsable algérien estime quant à lui que l’éventuelle nomination de Xavier Driencourt à la tête du Quai d’Orsay sera avant tout “l'illustration que l'Algérie est devenue l'axe central de la politique intérieure française pour des raisons électorales et que cela ne changera strictement rien aux relations bilatérales”.