“Des dizaines de camions de gros tonnage se dirigent vers Adrar (ville au centre de l’Algérie située en plein désert) pour la moisson des céréales”. Sur les réseaux sociaux, des dizaines d’Algériens partagent, non sans fierté, des images d’engins s’acheminant vers les régions désertiques d’Adrar pour récolter des céréales. On y voit, en plus des camions et des moissonneuses batteuses, des champs de blé et d’orge à perte de vue et, plus impressionnant encore, des dunes de graines de céréales stockées à l’air libre avant d’être transportées dans les silos du nord du pays. C’est le résultat d’un investissement de l’entreprise turque Dunaysir du groupe Dekinsan, qui a déjà investi 25 millions de dollars.
“Les autorités algériennes ont exprimé leur satisfaction à l’égard du type d’agriculture et de la qualité des récoltes. Le projet lancé à Adrar est en service avec une capacité de seulement 30%. L’objectif est d’atteindre une capacité de 60% après un an et de 100% d’ici 2025”, a confié à l’agence Anadolu, Kenan Kosen, président du conseil d’administration du groupe Dekinsan.
Ce gigantesque projet de 4 000 hectares qui doit créer en principe plus de 400 emplois permanents, n’est que la partie visible de l’iceberg. Le 24 avril dernier, le ministre algérien de l’Agriculture, Youcef Cherfa, a signé un accord avec la firme qatarienne Baladna, pour un projet d’investissement à Adrar, dans le sud.
Doté d’un montant initial de 3,5 milliards de dollars, ce “projet pharaonique” s’étendra sur 117 000 hectares pour développer une “ferme de production de céréales et de fourrage, une ferme d’élevage de vaches et de production de lait et de viande, ainsi qu’une usine de production de lait en poudre”, a précisé le ministre algérien de l’Agriculture.
Dans la première phase, une ferme sera aménagée pour répondre aux besoins en fourrage, une autre, d’une capacité d’accueil de 50 000 têtes bovines, sera conçue et des lignes modernes de production de lait en poudre, installées. Après neuf ans, le nombre total de têtes bovines devrait atteindre 270 000, avec une production d’environ 1,7 milliard de litres de lait par an.
“Garantir la sécurité alimentaire”
Le projet est tellement important qu’il a été salué, ces dernières semaines, à plusieurs reprises par le président Tebboune qui a estimé qu’un peuple qui ne “produit pas ce qu’il mange est un peuple maudit”. Le chef de l’Etat a rappelé que le secteur agricole avait créé l’équivalent de près de 35 milliards de dollars de richesses. Il a surtout insisté sur la nécessité de parvenir à “l'autosuffisance alimentaire” ; le but étant de protéger le pays des pressions extérieures, a-t-il encore indiqué.
En parallèle à ces deux projets, d’autres investissements importants sont en cours dans le sud du pays. C’est le cas de celui que lance l’entreprise algérienne Souakri, en collaboration avec une entreprise italienne pour produire de la tomate industrielle dans le désert.
“Les essais vont commencer, fin mai, et l’entrée de production est prévue, fin octobre 2024. C’est la première serre qui est finalisée, d’autres serres seront réalisées. Nous avons un terrain de 50 hectares. C’est le plus grand projet maraîcher d’Afrique et l’un des plus grands au monde. Nous allons y produire des tomates et tous les produits maraîchers”, a résumé Abdenour Souakri, cité par le site Tout sur l’Algérie (TSA).
Une ferme laitière en plein désert
“Notre première serre a une capacité de production de 600 000 tonnes de tomates cerises et nous visons un chiffre d’affaires à l’export de 500 millions de dollars par an. Nous allons exporter nos tomates vers l’Europe et les pays du golfe”, explique le patron du groupe privé algérien, qui promet que plus de 1000 emplois seront créés.
Ces mégaprojets s’ajoutent à d’autres exploitations qui existent dans les régions désertiques du sud. Des zones comme Oued-Souf et Biskra (sud-ouest) offrent au pays d’énormes quantités de fruits et légumes, grâce, notamment, à la présence sous terre d’une des plus grandes réserves d’eaux souterraines dans le monde, la nappe albienne. Mais l’exploitation de ces richesses ne plaît pas à tous.
Or, “la bataille décisive à engager est celle de l’eau et elle ne peut attendre”, s’alarme Saci Belgat, spécialiste de l’Agriculture à l’Université de Mostaganem (ouest). “(…) nous ne savons pas trop du niveau de ces nappes et moins encore sur comment les exploiter”, a-t-il averti avant d’ajouter que “le mythe d’une agriculture verte en plein désert n’est même pas un rêve”.
“En plus de la problématique écologique de ces projets, il faut aussi se poser la question sur les coûts et les prix des produits issus de l’agriculture saharienne”, a indiqué un expert agricole qui a requis l’anonymat. Cette question vient du fait que pour gérer des projets aussi énormes, il faut beaucoup d’eau, d’électricité et de gaz ; des quantités nécessaires à la gestion de ces exploitations agricoles dans une région où les températures peuvent atteindre jusqu’à 60 degrés l’été.