Hier en Suède, aujourd’hui en Italie… Si l’extrême droite est quasiment présente dans la vie politique de tous les pays de l’Union, c’est la première fois qu’un parti nouveau populiste se retrouve à la tête d’un pays fondateur de l’Union européenne. Sur le plan politique, l’extrême droite avait déjà participé à l’exercice du pouvoir exécutif et national ou pris part activement à la vie politique notamment dans le parlement.
Le groupe des pays membres de l’Union européenne dirigés par l’extrême droite s’élargit avec l’entrée de l’Italie après la Suède, la Pologne et la Hongrie. Bien qu’elle ne soit pas exhaustive, cette liste prouve que le phénomène ne peut plus être minimisé et donne une idée sur la menace que fait peser l’extrême droite sur la démocratie en Europe; une menace qui ne vient plus de petits groupes ou partis, mais d’un parti politique capable d’arriver en tête pour gouverner. Parallèlement à la montée en puissance de l’influence de l’extrême droite, les discours racistes, xénophobes et islamophobes se font de plus en plus entendre dans l’union.
L’UE est-elle menacée ?
“Le choc politique est immense” C’est ainsi que Jean Quatremer qualifiait la montée de l’extrême droite au pouvoir en Italie, sur les colonnes de Libération, tandis que Pierre Haski déclarait au micro de France inter “L’Europe n’est plus tout à fait la même ce matin. La nette victoire de Giorgia Meloni et de sa coalition d’extrême droite et de droite change les équilibres politiques sur le continent”.
Au regard des récentes évolutions politiques, des doutes surgissent quant à la création d’un front eurosceptique au sein de l’Union. Les inquiétudes sur les ambitions des pays dirigés par l’extrême droite de faire obstacle aux projets de l’UE prennent davantage d’ampleur de jour en jour.
Si l’Union n’est proprement pas menacée, divisée, elle risque d’être dirigée plus difficilement. Alors que les partis en tête de la Suède et de l’Italie n’ambitionnent pas de sortir de l’UE, ils souhaitent mettre en avant leurs intérêts nationaux, tout en tirant bénéfice de celle-ci. Par exemple, l'Italie, endettée à hauteur de 150% de son PIB, n’est pas en position de se passer des 192 milliards d’euros du plan de relance de l’UE destiné à relancer l’économie européenne après la crise du Covid-19.
La fenêtre Overton, champ de l’acceptable
Pour gagner du terrain, l’extrême droite travaille à rendre tolérables des discours autrefois considérés comme inacceptables. C’est le concept de la “fenêtre d’Overton” qui permet de comprendre comment l’extrême droite s’est en partie développée.
Élaboré dans les années 1990 par Joseph P. Overton, vice-président des lobbyistes du Mackinac Center for Public Policy, le principe du concept est que les idées jugées “acceptables” par la majorité de la société constituent une “fenêtre”, qui peut évoluer au cours du temps.
En transgressant les limites de la norme, les politiciens de l’extrême droite poussent petit à petit le curseur un peu plus loin pour “dédiaboliser” leur discours et le rendre acceptable pour qu’ils entrent dans la fameuse “fenêtre”.
Alors que leurs concepts même n’ont pas changé, les idées qualifiées d’“extrémistes“ auparavant ne sont plus considérées comme telles et se “banalisent“ au fil du temps. L’extrême droite se présente donc comme légitime en “normalisant“ son discours pour atteindre ou influencer le pouvoir.
Par principe de comparaison, la multiplication des groupes d’ultra droite ayant des projets d’attentats ou des actes de violence permet aussi de rendre “acceptables” les discours des partis d’extrême droite considérés comme moins “violents” dans le débat politique.
Du côté des partis traditionnels, ils n’hésitent pas non plus à s’approprier pendant les campagnes électorales les thèmes avancés par l’extrême droite pour séduire les électeurs, contribuant ainsi à conforter leur position. La répétition et l’omniprésence des discours, véhiculés par les réseaux sociaux, dans le débat public, participent eux aussi à la “banalisation“ de leurs idées.
Hit de l’extrême droite : identité, insécurité, immigration
Selon le chercheur Jérôme Jamin, ces partis se constituent essentiellement autour de 3 critères majeurs : l’inégalitarisme, l’action radicale et le nationalisme. L’extrême droite considère que la société est composée de civilisations différentes et hiérarchisées et veut éradiquer les problèmes sans débat et compromis de manière radicale voire violente. Le discours nationaliste, considéré comme rempart contre l’’ennemi de l’extérieur”, est à prendre avec précaution, puisque tous les partis de l’extrême droite se réclament du nationalisme, mais tous les nationalismes ne sont pas d’extrême droite.
Devenus “ordinaires“, les discours des partis d’extrême droite restent assez similaires. Alors que les sujets de prédilection sont l’immigration en première place, la sécurité, la protection de l’identité avec une crainte de “disparaître”, l’extrême droite alimente son discours par la peur en considérant les étrangers et l’immigration comme principales menaces sur l’identité nationale, les valeurs de la Nation et l’économie du pays. Concrètement, ces critères se traduisent par le rejet de l’immigration, la défense des valeurs traditionnelles et une grande priorité à la sécurité avec une autorité qui peut être dérivante.
Les promesses de Giorgia Meloni font d’ailleurs parfaitement écho à ces critères. Meloni veut s'attaquer à l'immigration, relancer la natalité, promouvoir "l'identité judéo-chrétienne de l'Europe" (sa devise est "Dieu, patrie, famille") en augmentant le pouvoir d’achat des Italiens.
En Suède comme en Italie, c’est la coalition avec d’autres partis qui a permis à l’extrême droite d’accéder au pouvoir. Si en Suède, les démocrates acceptent pour la première fois une coalition avec l'extrême droite, en Italie, ce n’est pas une première. En 1994, Silvio Berlusconi avait inclus les ministres de la Ligue du Nord et de l'Alliance nationale dans son gouvernement. La coalition de Giorgia Meloni qui rassemble 44 % des voix lui assurerait une majorité à la Chambre des députés et au Sénat. Les partis d’extrême droite ne sont donc plus isolés, leur alliance à la droite traditionnelle constitue une des raisons de leur avancée.
L’Italie “a tourné dimanche une page de l’histoire européenne”, constate The New York Times, alors que d’autres élections s’annoncent tourmentées, notamment en Slovénie, République tchèque, Finlande ou Danemark. Tandis que les discours de l’extrême droite continuent de se répandre en se “banalisant“, Bruxelles plonge petit à petit dans une ère d’incertitude et d’inquiétude laissant planer le spectre d’un grand nombre de crises.