Et on reparle des OQTF, ces Obligations de Quitter le Territoire Français. Un fait divers a relancé le débat qui n’en finit pas d’animer la vie politique française. Philippine, une jeune étudiante est tuée au Bois de Boulogne à Paris par un ressortissant marocain sous le coup d’une OQTF, les médias et les politiques se sont tous lancés dans un débat sur le peu d’expulsions réalisées par la France et sur le problème de l’immigration illégale.
Bruno Retailleau veut donc consolider son image d’intransigeance vis-à-vis de l’immigration. Il a reçu mardi vingt préfets pour une réunion de travail afin de remettre de l’ordre dans le dossier de l’immigration, il aborde forcément la question de l’exécution des OQTF.
On l’entend depuis des années, et on l’a encore entendu ces derniers jours, la France serait le mauvais élève européen dans l’exécution de ces expulsions. 40% dans les autres pays européens, 7 ou 10% en France. C’est la version du gouvernement actuel qui reprend la communication de Gérald Darmanin, l’ancien ministre de l’Intérieur.
Si on regarde les chiffres, en effet, le taux d’exécution était de 22% en 2012, puis de 12,5 % jusqu’en 2020. Lors de la pandémie, l’application des OQTF a chuté à 7%
Mais une nuance est à apporter, depuis son instauration en 2006, le nombre d’OQTF prononcées n’a cessé d’augmenter : selon les chiffres du ministère de l’Intérieur et de la Cour des comptes, il y en a eu 134 280 en 2022, 124 111 en 2021, 107 488 en 2020 et 122 839 en 2019. Les préfectures multiplient donc les décisions administratives pour éloigner les personnes en situation irrégulière.
Pas facile d’exécuter les OQTF
L’avocat Charly Salkazanov, avocat spécialiste du droit des étrangers et du droit d’asile apporte une seconde nuance. “La plupart des OQTF sont contestées devant le tribunal administratif et beaucoup sont retoquées car mal préparées ou délivrées de manière automatique. On ne procède pas à l’examen de chaque cas et, parfois, on a des personnes qui reçoivent une OQTF alors qu’elles ont une famille et un travail en France.”
La Cour des Comptes a publié en janvier dernier un rapport sur la lutte contre l’immigration illégale. Elle est claire, la multiplication des procédures nuit à leur application. “Sur les cinq dernières années, le nombre d’obligations de quitter le territoire français (OQTF) délivrées a augmenté de 60 % alors que les effectifs préfectoraux consacrés à l’éloignement et au contentieux des étrangers ont crû de 9 %. La plupart des préfectures sont surchargées, commettent régulièrement des erreurs de droit face à un cadre juridique particulièrement complexe, et rencontrent des difficultés à respecter les délais légaux.”
L’avocat Charly Salkazanov s’interroge sur l’utilité de multiplier des décisions administratives qui sont souvent des copier-coller et qui s’écroulent devant le juge car la personne concernée est insérée. “En fait, il n’y a pas de rendez-vous à la Préfecture où on pourrait expliquer, défendre un dossier. On passe directement à la voie du contentieux devant le tribunal administratif. C’est le seul moment où on peut défendre un dossier. De ce fait, les tribunaux sont encombrés par ces procédures. En 2021, les contentieux sur des OQTF représentaient 41% des procédures devant les tribunaux administratifs français.”
La France championne des expulsions en Europe ?
Même avec un système sous pression à cause de décisions politiques anti-immigration successives, la France expulse et expulse même pas mal. D’après Eurostat, la France est souvent le pays qui procède au plus d’éloignements forcés de l’Union européenne : 11 409 éloignements forcés en 2022 et 18 915 en 2019. Ainsi, le Royaume-Uni a procédé à 3 531 éloignements forcés en 2023, tandis que l’Allemagne a éloigné 12 945 personnes en 2022
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Mais si les chiffres varient, c’est qu’il y a un gros écueil à l’exécution d’une OQTF, l’obtention d’un laissez-passer consulaire, soit l’assurance que la personne expulsée sera acceptée par son pays d’origine ou de destination et certains pays sont moins coopératifs que d’autres. Bruno Retailleau a d’ores et déjà annoncé qu’il voulait faire une tournée dans les pays du Maghreb pour améliorer la délivrance de ces laissez-passer. La France se plaint régulièrement de l'attitude du Maroc et de l’Algérie en la matière.
Avec la nouvelle loi sur l’immigration votée fin 2023, les OQTF seront valables trois années au lieu d’une année actuellement. “Je ne sais pas si la multiplication des OQTF est la bonne solution pour lutter contre l’immigration illégale. Les décisions des préfectures se heurtent la plupart du temps au droit des étrangers et sont annulées. Il faut, par exemple, un lien avec le pays d’origine, et s’il n’y en a pas, on peut faire annuler l’OQTF”, rappelle Charly Salkazanov.
Pour lutter contre l’immigration illégale, le ministre de l’Intérieur veut rétablir un délit de séjour irrégulier, étendre le délai en centre de rétention des étrangers en situation irrégulière jusqu’à sept mois au lieu de trois aujourd’hui.
Le Premier ministre, Michel Barnier semble suivre son ministre de l’Intérieur sur cette voie puisqu’il a répété à plusieurs reprises le besoin de “maîtriser” l’immigration.