Noeëlle Fossi, la fille du leader Fossi, un leader nationaliste camerounais tué aux chutes de Metche, l'endroit où elle se tient / Photo: AFP (AFP)

​​Annoncée en juillet 2022 par le président français Emmanuel Macron lors d'une visite à Yaoundé, cette commission de quatorze membres, dirigée par l'historienne française Karine Ramondy, a étudié le rôle de la France dans la lutte contre les mouvements indépendantistes et d'opposition au Cameroun entre 1945 et 1971.

Le rapport a été remis ce mardi au président camerounais Paul Biya à Yaoundé, une semaine après sa remise à son homologue français.

Basé sur des archives déclassifiées, des témoignages et des enquêtes de terrain, le rapport de plus de 1 000 pages vise à combler le "vide mémoriel". "Côté français, la guerre du Cameroun est une terra incognita des mémoires sur le passé colonial. Côté camerounais, les mémoires sont marquées à vif", constate le rapport.

L’ouvrage étudie notamment le glissement de la répression vers une véritable "guerre", un terme jusqu'à présent banni du discours officiel français. Se déroulant dans le sud et l'ouest du pays entre 1956 et 1961, cette guerre a sans doute fait "des dizaines de milliers de victimes", selon les historiens.

Le rapport se penche également sur la période post-indépendance (obtenue en 1960) et sur l'engagement de la France dans la répression des mouvements d'opposition au régime du président Ahmadou Ahidjo, afin de conserver son influence dans ce pays au fort potentiel économique et stratégique.

La France a pratiqué la torture, les ratissages, et les rafles

Pour rappel, la majeure partie de l’ex-colonie allemande du Kamerun a été confiée à la France après la Première Guerre mondiale. Face à la montée du mouvement indépendantiste après la Seconde Guerre mondiale, les autorités françaises ont mis en œuvre une "répression multiple" : policière, administrative, judiciaire, mais aussi politique, empêchant les leaders indépendantistes d'aller s'exprimer à l'ONU, et manipulant la scène politique camerounaise.

Le rapport souligne aussi le rôle joué "par une poignée de colons" dans l'intensification des violences, en particulier en septembre 1945 à Douala, où des colons tirent sur des grévistes.

À partir de 1955, la répression s'intensifie, sous la houlette du Haut Commissaire de l'époque, Roland Pré. L'UPC (Union des populations du Cameroun), parti indépendantiste, est interdit, et ses leaders entrent dans la clandestinité. La répression des autorités "se généralise à l'ensemble de la société", écrit le rapport. Et la répression militaire se met également en branle : créations de zones d'exception, dont la Zopac (zone de pacification) dans la région côtière de Sanaga-Maritime.

Une véritable guerre révolutionnaire

La France met en œuvre la "doctrine de guerre révolutionnaire", déjà expérimentée en Indochine et en Algérie, appliquant les mêmes méthodes : "recours à la torture, ratissages massifs, arrestations préventives, rafles, déplacements de populations...". Des centaines de milliers de personnes sont déplacées et rassemblées dans des "camps de regroupement", qui perdureront bien après l'indépendance, relève le rapport.

Mais la guerre reste largement ignorée, car ce sont des troupes coloniales d'Afrique équatoriale française qui sont essentiellement engagées, le nombre de militaires français ne dépassant pas les 300 à 400 en 1960. "Très peu médiatisé, l'affrontement en Sanaga-Maritime se fait en vase clos. Mais cette invisibilisation ne doit pas faire illusion : la France fait bel et bien la guerre au Cameroun", souligne le rapport.

Le document se penche également sur la mort des leaders indépendantistes Ruben Um Nyobe, abattu par l'armée française en 1958, et Felix Moumié, empoisonné en 1960 à Genève, dans un "assassinat politique impliquant la responsabilité du gouvernement français".

L’implication française ne cesse pas après avec l'indépendance

L’indépendance du pays, obtenue en janvier 1960, ne change rien. Elle est "loin de mettre un terme à l'implication des autorités françaises dans la répression des mouvements désormais d'opposition", y compris contre l'avis de certains responsables français, selon le rapport.

Ahmadou Ahidjo, qui devient président en 1960 après avoir été Premier ministre, met en place "un régime autocratique et autoritaire avec le soutien des autorités françaises".

Le garde des Sceaux de l'époque, Michel Debré, participe à la rédaction de la Constitution du Cameroun, tandis que des traités bilatéraux sont signés, qui consacrent notamment la participation de l'armée française au "maintien de l'ordre" au Cameroun.

Le rapport de la Commission Ramondy s'inscrit dans la politique mémorielle du président Macron vis-à-vis de l'Afrique, après les rapports Duclert sur le Rwanda et celui de Benjamin Stora sur l'Algérie.

AFP