La Nouvelle-Calédonie est secouée depuis trois jours par de violents affrontements entre les forces de l’ordre de la métropole et les indépendantistes kanaks. De nombreuses interpellations ont eu lieu dans ce climat de tension extrême. Face à l'escalade de la crise, Emmanuel Macron a décrété l'état d'urgence, mercredi 15 mai.
La colère des Kanaks est attisée par le projet de réforme constitutionnelle sur le corps électoral, adopté par les députés à Paris dans la nuit de mardi à mercredi. Cette réforme vise à élargir le corps électoral pour les élections provinciales, cruciales dans l'archipel, à tous les natifs calédoniens et aux résidents depuis au moins dix ans.
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Les partisans de l'indépendance estiment que cette mesure risque de "minoriser encore plus le peuple autochtone kanak", ravivant ainsi les tensions historiques entre Kanak et Caldoches.
Contexte historique
La France prend officiellement possession de la Nouvelle-Calédonie, le 24 septembre 1853, sous les ordres de Napoléon III. Située à 18.000 km de la métropole et à 2.000 km de l'Australie, la capitale de l’archipel Port-de-France (devenue Nouméa), est fondée en juin 1854.
À partir de 1864, la “colonisation pénale” marque le peuplement de la Nouvelle-Calédonie. Plus de 20.000 bagnards y sont détenus jusqu'en 1897, incluant des milliers de prisonniers politiques qui sont déportés après les répressions de la Commune de Paris en 1871 et une révolte kabyle en Algérie.
Des "réserves" sont instaurées pour les populations “indigènes”, qui se voient expropriées de leurs terres et contraintes au travail forcé. L'exploitation du nickel, moteur économique de l'archipel, entraîne plusieurs vagues migratoires, notamment asiatiques, tahitiennes et antillaises.
En 1878, une révolte kanak éclate contre la spoliation des terres. Quelque 600 insurgés et 200 Européens sont tués, des tribus anéanties et 1.500 Kanak contraints à l'exil.
Si la Nouvelle-Calédonie devient un Territoire d'outre-mer (TOM) en 1946 et les Kanak obtiennent la nationalité française, puis le droit de vote, des violences les opposent aux Caldoches dans les années 1980, dont la prise d'otage et l'assaut de la grotte d'Ouvéa en mai 1988 constituent le point culminant. Quelque 19 militants kanak et deux militaires français périssent.
Les Kanak
Le terme “kanak”, dérivé du mot hawaïen “kanaka” signifiant “homme”, était utilisé de façon péjorative par les colonisateurs au XIXe siècle, qui appelaient les autochtones “Kanacks” ou “Canaques”.
Dans les années 1980, les Kanak se sont réapproprié ce terme, adoptant l'orthographe “kanak” pour symboliser leur lutte pour l'indépendance.
D'après le recensement de l'Isee de 2019, 111.856 personnes s'identifient comme Kanak, constituant 41,1% des 271.000 habitants de l'île.
Caldoche, métro et zoreill
Le terme “caldoche” utilisé de manière péjorative par les Kanak, désigne les descendants des colons français nés en Nouvelle-Calédonie. Formé à partir de “Calédonie” et du suffixe “-oche”, ce terme est rarement revendiqué par les Calédoniens d'origine européenne, qui préfèrent se qualifier simplement de “Calédoniens”.
Les Caldoches ont développé des pratiques culturelles qui leur sont propres, pour se différencier des autochtones, partant de leurs origines européennes, de leurs métissages, de la culture française, de l'influence des voisins anglo-saxons (Australie et Nouvelle-Zélande), de la présence américaine durant la Seconde Guerre mondiale et des échanges avec les autres communautés.
Ces pratiques comprennent notamment un usage distinct du français, une cuisine particulière et des manifestations telles que les foires de “Brousse”, caractérisées par une ambiance similaire à celle du bush australien ou de l'Ouest américain, avec des rodéos.
Les termes “métro” ou “zoreill” sont également courants pour désigner, de façon péjorative, les métropolitains qui résident temporairement sur l'île pour des raisons professionnelles. Ils peuvent être mal perçus par les autres communautés, y compris les Caldoches.
Les Métros ou Zoreill sont principalement présents dans la fonction publique ou l'armée. Leur embauche dans d'autres secteurs peut provoquer des réactions en faveur de la défense de “l’ emploi local”, protégé par une loi du pays votée en 2010.
Les “Métros”, les “Zoreill” et les “Caldoches” forment ainsi la communauté européenne de l'île.
En 2019, 65.488 personnes se déclaraient appartenir à cette communauté, représentant 24,1% de la population, en faisant la deuxième plus grande communauté de Nouvelle-Calédonie, pendant que 11% des habitants se considéraient comme appartenant à plusieurs communautés ou métissés. Le métissage est également un élément fondamental de l’histoire de la Nouvelle-Calédonie.
Tentatives de réconciliation
En juin 1988, les accords de Matignon favorisent la réconciliation en rééquilibrant l’économie et partageant le pouvoir politique. En 1998, l'accord de Nouméa confère à l'archipel un statut unique avec une autonomie progressive.
Trois référendums sont prévus : en 2018, 2020 et 2021. Les deux premiers voient le non à l'indépendance l'emporter avec respectivement 56,7% et 53,26%. En 2021, le non l'emporte à 96,5%, mais les indépendantistes contestent la légitimité du scrutin en raison d'une forte abstention liée à la pandémie de Covid-19.
Les accords de Nouméa visent également à créer une citoyenneté calédonienne au sein de la France tout en favorisant l'émancipation. Cependant, le Comité spécial de la décolonisation de l'ONU considère toujours la Nouvelle-Calédonie comme l'un des 17 "territoires non autonomes" dans le monde.
Plus de 25 ans après la signature des accords de Matignon, les tensions entre les communautés kanak et caldoche semblent loin de s'apaiser.