Son “rêve” est enfin devenu réalité. Avec sa consécration au prix Goncourt le 4 novembre pour son roman Houris, l’écrivain algérien Kamel Daoud a accédé au panthéon littéraire français. La voix tremblante et le regard humide, l’émotion se lisait sur le visage du natif de Mostaganem lors de son sacre. L’auteur, sourire figé et visage légèrement fardé, est venu fêter sa victoire dans le restaurant Drouant à Paris, où le plus prestigieux des prix littéraires français est décerné chaque année. Chroniqueur au journal Le Point, invité régulier des médias mainstream, Kamel Daoud a également acté, à travers ce prix, un consensus tacite au sein de l’élite intellectuelle française: la communion quasi générale autour d’un rejet virulent du monde arabo-islamique, thème central des écrits de l’ancien journaliste du Quotidien d’Oran. Les plus prompts à avoir salué ce Goncourt éminemment politique penchent effectivement nettement à droite de l’échiquier. De Marion Maréchal à Gérald Darmanin, ils se sont tous empressés de saluer la consécration d’un auteur qui porte selon eux un combat commun: celui d’une lutte sans relâche contre la prétendue islamisation de la France. Mais pourquoi Daoud fascine-il tant les cercles réactionnaires français?
L’hommage appuyé de Marion Maréchal et de Gérald Darmanin
La réponse se trouve en partie dans ses chroniques et romans très critiques envers ladite “civilisation arabo-islamique”.. Son dernier ouvrage se veut en effet une dénonciation sans ambages de l”’islam rigoriste”. À travers ce récit âpre et poignant qui se déroule pendant la décennie noire en Algérie, Daoud y dénonce un “rapport maladif à la femme“, une haine viscérale de la France et un rejet brutal de la modernité occidentale dans son pays. Autant de thèmes chers à la droite radicale hexagonale. Cette convergence idéologique était par conséquent naturelle, même si Daoud rejette les critiques qui lui sont adressées, les imputant aux “islamistes”et aux décoloniaux qu’il abhorre.
Mais pour l'extrême droite, Kamel Daoud est bel et bien un héraut de la liberté de d’expression, un ”Arabe” parfait combinant critique virulente de la religion musulmane et du système politique algérien, enfermé selon lui dans une rente mémorielle symbolisée par une haine radicale de l’ancienne puissance coloniale. En témoigne la réaction de la députée européenne Marion Maréchal, qui a rendu hommage sur son compte X à l’écrivain algérien, qualifié de ”sonneur de tocsin” dont ”les avertissements lucides doivent être écoutés de tous”.
”Daoud épouse les fixations islamophobes de l’Occident”
Interrogée par TRT Français, la chercheuse en Sciences sociales et militante décoloniale, Yasmine Akrimi, estime que Kamel Daoud ”est dans la binarité islam versus modernité, ignorant la colonialité de la distinction, la colonialité de la modernité occidentale et la colonialité de la laïcité”. Pour l’universitaire, l’auteur algérien ”s’inscrit parfaitement dans une logique de choc des civilisations. Et essaye de s'assimiler à la civilisation occidentale en revendiquant son islamophobie. Elle ajoute que son article intitulé ”Les fantasmes de Cologne” est ”un cas d’école”, car Il y accuse à tort un immigré musulman de viol. ”Il pense que le problème de nos pays c’est l’islam et la libération de la femme. Sa fixation sur la question des femmes épouse de ce fait la fixation de l’Occident sur le statut des femmes arabes”... Yasmine Akrimi rappelle de surcroît le soutien inconditionnel de Daoud à l'État d’Israël. ”Il soutient ouvertement Israël et tient une chronique dans un journal dont la rédactrice en chef pense qu’il n’y a pas de journalistes en Palestine, parce que ce serait transposer un concept occidental… Pour se rendre compte si son Goncourt est politique ou pas, il faut voir qui lui rend hommage. Gérald Darmanin, Marion Maréchal Le Pen et son journal, Le Point, qui a fait sa Une avec le titre ”Kamel Daoud le résistant”.
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Ainsi, dans son roman Houris, Daoud relate l’histoire d’Aube, une jeune femme algérienne dont le corps porte les stigmates du terrorisme “islamiste” qui a sévi en Algérie pendant les 1990. Avec une cicatrice visible sur le cou et une voix éteinte, elle garde en elle les souvenirs d'une époque tourmentée. Elle rêve de retrouver sa voix et de pouvoir transmettre son histoire, notamment à l'enfant qu'elle attend.
Un soutien inconditionnel à Israël qui ne passe pas en Algérie
Dans un entretien à TRT Français, l’écrivaine et universitaire algérienne, Zoubida Berrahou, tente de faire la généalogie idéologique de Kamel Daoud afin d’expliquer les polémiques que ses écrits suscitent des deux côtés de la Méditerranée. “Même quand il était en Algérie, Kamel Daoud, alors chroniqueur au Quotidien d’Oran, avait suscité la critique des sphères religieuses intégristes, mais il était soutenu et défendu par les progressistes et démocrates, et c’était tout à son honneur. Depuis 2019, à la suite d’un article tournant le dos au Hirak et faisant ainsi fi de critiquer le nouveau pouvoir, beaucoup de ses aficionados lui ont tourné le dos. Pourtant en tant qu’écrivain, avec son roman Meursault contre-enquête, il était le héros de la littérature francophone dans son pays”.
L’autrice de Sémiramis au pays de Dounia ajoute que “sa migration vers le magazine Le Point, à la ligne éditoriale très droitière et où ses chroniques sont exclusivement centrées sur l’islam et les musulmans”, a acté un tournant dans sa trajectoire intellectuelle. Elle rappelle également qu’après le 7 Octobre 2023, “sa position d’intellectuel du Sud s’alignant sur le discours officiel des défenseurs du droit d’Israël à se défendre et sa propension à s’afficher avec les soutiens du sionisme en France, restera impardonnable pour une large partie de ses ex-admirateurs algériens”.
Le troisième et dernier acte de ce basculement intellectuel s’est profilé, selon Zoubida Berrahou, avec la sortie de son dernier roman, Houris. “Depuis le mois de septembre 2024, Kamel Daoud a multiplié les apparitions médiatiques en France (télé, radio, presse écrite) pour la promotion de son roman. Les propos qu’il tient sont essentiellement dirigés contre la société algérienne et sa supposée arriération religieuse. Il renforce les stéréotypes racistes et manque de surcroît de profondeur, un peu à la manière d’un Éric Zemmour. Et cela ne peut laisser indifférent en Algérie”.
De l’autre côté de la Méditerranée, Houris a été interdit par les autorités algériennes, car il tombe sous le coup des lois mémorielles qui interdisent notamment l’évocation de la décennie noire, un conflit armé entre le pouvoir et des groupes terroristes qui a déchiré le pays pendant les années 1990. Le Salon international du livre d'Alger (SILA), qui accueille actuellement plus de 1 000 éditeurs venus de 40 pays, n’aura donc pas la possibilité d’exposer le nouveau Goncourt. L’éditeur de Kamel Daoud, Gallimard, a effectivement été officiellement informé début octobre de l'interdiction de la présence de Houris au salon, en raison de son traitement de la décennie noire. Certains éditeurs algériens estiment pourtant que les déclarations très critiques de Daoud à l’encontre du gouvernement algérien ont davantage motivé cette décision controversée.