Une enquête de l’AFP sur la double attaque au sud du Liban menée le 13 octobre dernier contre une équipe de six journalistes internationaux, qui s’est soldée par la mort d’Issam Abdallah, cameraman à Reuters et de graves blessures sur les six autres, a conclu à la responsabilité de l’armée israélienne.
Pendant sept semaines, l’AFP a réuni une équipe de spécialistes de divers domaines pour déterminer et comprendre ce qui s’était effectivement passé.
L'agence de presse a rassemblé des témoignages, des images satellites, des dizaines de vidéos, des photos, des restes de munitions. Elle s’est aussi attaché les services du collectif d’enquêteurs et d’experts indépendants de l’ONG Airways, des experts en armement et balistique pour analyser les preuves en sa possession.
En reconstituant la scène du meurtre, il ressort que le premier bombardement a eu lieu à 18 heures deux minutes et 14 secondes (heure du Liban). Les journalistes bien visibles et identifiables par leurs jackets estampillées “presse” étaient postés devant un mur, dans un terrain vague au sud du Liban, à la frontière avec Israël, dans le village de Alma al-Chaab.
Un premier tir est venu derrière ces journalistes et Issam Abdallah de Reuters a été tué sur le coup.
Les analyses montrent qu’il a été atteint par un “ obus de char de 120 mm, probablement tiré par un Israélien”.
Une deuxième frappe a eu lieu 37 secondes plus tard et a touché le véhicule d'Al-Jazeera, à cinq mètres du point d'impact de la première frappe.
Dylan Collins de l’AFP a décrit la scène : “ Lorsque nous avons été frappés la première fois, j'ai vu Christina par terre, j'ai immédiatement couru vers elle et elle criait ‘je ne sens plus es jambes’. J’avais deux garrots avec moi”.
"Mon plan, poursuit-il, était de mettre des garrots sur les deux jambes, alors je me suis penché, j'ai mis sa jambe gauche devant de moi, j'ai enlevé le premier garrot de mon gilet et je l'ai secoué, je l'ai mis jusqu'à son genou,
et nous avons été touchés une deuxième fois “, a témoigné Collins.
Un expert en balistique a également souligné que le deuxième tir avait directement touché le moteur de la voiture, ce qui
est généralement la cible principale lorsque l’on vise une voiture. “Cela indique un effort délibéré pour cibler le véhicule”. En examinant les angles des deux frappes, il est possible que la première ciblait la voiture, mais elle a manqué son objectif. Le deuxième bombardement atteint la cible, a déclaré le même expert.
Obus de char de 120 mm et crime de guerre
Des militaires libanais soutiennent, dans leurs conclusions préliminaires, que des débris “d’obus de char de 120 mm” utilisés par l’armée israélienne sur ses tanks Merkava, ont été réprouvés. Aucun autre groupe ou organisation militaire dans la région n’utilise ce type de munitions, affirment ces analystes.
Sur l’origine des tirs, les analyses balistiques et des images satellites tout comme les témoignages, montrent que les tirs venaient d’une zone distante d’environ 1,8 kilomètre, de l’autre côté de la frontière, où étaient stationnés des soldats israéliens.
Amnesty International qui a aussi mené son enquête, accuse l’armée israélienne, d’avoir délibérément ciblé les journalistes qui avaient pris toutes les mesures nécessaires pour être identifiés.
“ L’armée israélienne savait où aurait dû savoir que les sept individus
étaient des journalistes, et pourtant ils les ont quand même ciblés non pas une, mais deux fois et donc Amnesty estime qu'il s'agit probablement d'une attaque directe contre des civils et qu'une enquête doit être menée pour crime de guerre “, souligne Aya Majzoub, directrice régionale adjointe d'Amnesty pour le Moyen-Orient.
Human Rigts Watch qui a aussi mené sa propre enquête est parvenu à des conclusions similaires.
"Notre enquête a révélé que les journalistes étaient clairement identifiables en tant que membres de la presse et qu'ils étaient bien éloignés des zones de combats en cours", a déclaré Kaiss. "Nous avons donc conclu que ces deux frappes constituent un crime de guerre apparent, car les journalistes ont probablement été délibérément attaqués ou les frappes étaient peut-être une attaque délibérée contre des civils", a-t-il déclaré à l'AFP.