"Peu de place à Gaza"
Selon des propos recueillis par le média Blast, des membres de la Société des journalistes (SDJ) de BFM qui ont gardé l’anonymat, auraient alerté la direction sur le traitement du conflit israélo-palestinien, jugé trop favorable à Israël et laissant “peu de place en contrepoids à Gaza”.
Ainsi un malaise se propagerait dans les couloirs de la chaîne, où les journalistes mécontents de la situation font la navette entre la direction et la rédaction pour demander des précisions sur ce traitement médiatique particulier.
Selon un “journaliste chevronné” de la chaîne, plusieurs membres de la rédaction auraient “poussé pour qu’il y ait plus d’images, d’interviews sur la situation à Gaza” or le pouvoir israélien ne permettant pas d’accéder à Gaza, les journalistes sont contraints de “travailler avec des images d’agences ou des correspondants, qui sont dans des conditions de travail épouvantables, sans accès à internet, sans accès à leur compte en banque et dont la vie elle-même est en danger”.
“Quand sur une tranche d’info, en une heure, vous avez 4 ou 5 entrées côté israéliens, nécessaires et légitimes sur la société israélienne, son deuil, l’horreur à laquelle elle fait face, et rien sur Gaza et la Cisjordanie, ou si peu, cela pose un souci” poursuit-il.
“Par exemple, on avait un bon sujet sur des bergers agressés par des colons en Cisjordanie. Mais dans le titre du sujet, le mot colon a disparu”, s’indigne un reporter de la chaîne qui dénonce par ailleurs une “auto-censure” et une “peur de froisser”.
Au début du conflit, la chaîne avait fait le choix éditorial de proscrire le terme de “guerre” afin d'éviter de mettre sur le même plan un État, Israël, et une organisation politico-militaire, le Hamas, avant que cette précaution ne soit levée.
L’ombre de Drahi
Le rachat de la chaîne par Patrick Drahi, l'homme d’affaires franco-israélien dont la “proximité” avec le gouvernement israélien et son “attachement à la défense de l’État hébreu n’a jamais fait de mystère”, s’est fait ressentir dans les choix éditoriaux de la chaîne.
En plus de BFM, Patrick Drahi possède également i24, la chaîne d’information israélienne ouvertement pro-gouvernementale, et dont les bureaux parisiens sont logés dans le même immeuble que BFM. Selon un autre témoignage d’un membre de la rédaction de BFM, quand Patrick Drahi a racheté la chaîne en 2018, “la couverture du Proche-Orient, qui était assurée par un correspondant, a été transférée à i24. Il y avait l'argument de la mutualisation mais cela pose quand même un problème de ligne éditoriale. Et aux premiers jours du conflit actuel, on nous a mis dans les pattes les experts et correspondants d’i24. C’était simple, pratique et problématique”.
La confusion BFM/i24 a été renforcée lorsque le reporter de la chaîne israélienne, Maël Benoliel, microphone estampillé i24 à la main, a témoigné pour BFM sur ce qu’il a vu à Kfar Aza après les attaques du 7 octobre. Une situation qui n’a pas manqué de déranger certains journalistes de BFM.
Le cas Bahloul
Dès les premiers jours qui ont suivi l'opération militaire du Hamas sur le territoire israélien, BFM a fait intervenir sur son antenne, Julien Bahloul, présenté par la chaîne comme simple “Franco-israélien vivant à Tel-Aviv”, puis “spécialiste de la société israélienne”. Or il se trouve que Julien Bahloul était surtout “community manager” de l’armée israélienne de 2012 à 2013 et porte-parole français et réserviste de Tsahal, de 2018 à 2022.
Les interventions de Julien Bahloul aussi, ont déplu à certains membres de la rédaction qui ont exprimé de “gros doutes sur sa légitimité à parler”.
“On n’a pas eu de réponse satisfaisante. Mais sur sa dénomination, on a expressément demandé à ce qu’il soit présenté comme ancien porte-parole de l’armée. Au début, c’était pas clair et éthiquement c’est problématique” s’indigne encore un journaliste de la chaîne.
Blast ne manque pas de souligner par ailleurs que Bahloul affiche un soutien inconditionnel à l'armée israélienne, et contribue même à relayer des désinformations qui se sont avérées être fake news comme le fait remarquer Libération.
“Pourquoi lui ? On se pose tous la question ? Il y a plein de gens en Israël qui sont à même de témoigner de la situation. Est-ce que c’est un proche de Fogiel (Marc-Olivier Fogiel, directeur de la chaîne) ? On n’en sait rien” s’interroge encore un journaliste.
Dans une chaîne “à l’organisation aussi verticale, on est tellement habitué à obéir qu’on ne réfléchit même plus” avoue enfin amèrement un autre journaliste de la chaîne, qui ne cesse de continuer à susciter des interrogations sur son impartialité.