La crise humanitaire à Gaza prend une tournure de plus en plus dramatique avec l'essor de gangs criminels organisés qui pillent les convois d'aide à destination de la population frappée par la guerre. Et ce, au vu et au su des autorités israéliennes accusées de soutenir ces réseaux criminels, comme l’a révélé une enquête du journal américain Washington Post.
Selon des responsables des organisations humanitaires, des témoins et des travailleurs sur le terrain, ces gangs, souvent liés à des familles criminelles locales, dérobent des vivres, des médicaments et d'autres fournitures essentielles dans les zones sous contrôle israélien.
Ces actes criminels, qui s'intensifient depuis le début de la guerre, constituent désormais l'un des principaux obstacles à la distribution de l'aide, aggravant davantage la situation des deux millions de personnes déplacées et affamées.
Des attaques de plus en plus violentes
Ces groupes criminels bien structurés mènent des attaques violentes contre les convois humanitaires.
Un mémo interne de l'ONU, consulté par le Washington Post, indique que ces gangs bénéficient même d'une certaine bienveillance, voire d’une protection passive ou active, de la part de l'armée israélienne.
Les gangs ont étendu leur champ d'action, allant des cigarettes, qui sont devenues une monnaie d'échange très prisée, aux produits alimentaires et autres fournitures cruciales pour la survie des populations.
Ce marché noir, qui s'est intensifié avec le trafic de cigarettes, a ajouté une dimension économique aux activités criminelles, mettant en péril l'intégrité de l'aide humanitaire envoyée à Gaza.
En juin dernier, une vidéo prise par un travailleur humanitaire montrait des hommes fouillant un camion d'aide des Nations unies à la recherche de cigarettes.
Mais les gangs ne se contentent plus du trafic des cigarettes. Selon l'ONU, ils ont désormais recours à des méthodes de plus en plus violentes pour détourner des camions entiers d'aide.
Les chauffeurs de camions, qui sont souvent attaqués et blessés, voire tués, sont les principales victimes de ces agressions. Le chef du gang derrière une grande partie des pillages, Yasser Abu Shabab, dirige une équipe d'environ 100 hommes. Il a été identifié par l'ONU comme "le principal acteur" de ce phénomène.
Les attaques de ces groupes se sont intensifiées, allant des barrages installés pour intercepter les convois aux meurtres de chauffeurs.
La route de Kerem Shalom
La route menant au passage de Kerem Shalom, par laquelle transitent la majorité des convois humanitaires, est devenue l'une des plus dangereuses de Gaza.
Les gangs, armés de Kalachnikovs et d'autres armes, attendent les camions pour les attaquer, souvent à quelques kilomètres de points de contrôle israéliens. Selon un travailleur humanitaire, les pillards se positionnent à moins de 500 mètres des postes militaires israéliens sans être dérangés.
Le secrétaire général du Conseil norvégien pour les réfugiés, Jan Egeland, a rapporté avoir observé des groupes d'hommes armés à seulement 800 mètres d'un point de collecte de l'aide.
Ces gangs ont également développé des stratégies pour s'attaquer à de nouveaux convois empruntant des routes alternatives, récemment ouvertes, mais qui ne sont plus à l'abri des pillages.
Complicité israélienne
Malgré les appels répétés de l'ONU et des groupes humanitaires pour renforcer la sécurité autour des passages humanitaires et ouvrir de nouvelles routes sûres, les autorités israéliennes ont majoritairement ignoré ces demandes.
En octobre dernier, un rapport de l'ONU a révélé que près de la moitié de l'aide alimentaire envoyée par le Programme alimentaire mondial a été volée, et la perte totale des biens humanitaires en 2024 a atteint 25,5 millions de dollars.
La situation est d'autant plus préoccupante que le manque d'aide alimentaire et de fournitures médicales, combiné à l'hiver qui approche, risque de rendre encore plus difficile la survie des personnes déplacées.
Les groupes humanitaires soulignent que la seule façon de résoudre cette crise humanitaire est d'inonder Gaza d'aides, ce qui permettrait de stabiliser les prix et de contrecarrer l'essor du marché noir.
Mais la route à suivre est semée d'embûches, car la sécurisation des itinéraires humanitaires reste un défi majeur. Les responsables de l'ONU, qui ont abordé la question avec leurs homologues israéliens, estiment qu'il est impossible de mener des opérations humanitaires dans l'enclave sans la complicité, ou du moins la tolérance, des autorités israéliennes.