La gastronomie et l’art de la table ne se résument nullement à un simple répertoire de recettes ou de pratiques culinaires "ancestrales sacralisées". Influencées par moult facteurs notamment, historiques, socio-économiques, géographiques, religieux, commerciaux et migratoires, les arts culinaires ont traversé les continents et agissent comme des passerelles de dialogue interculturel.
Nombreuses et diverses, les influences culinaires ont permis au fil des siècles de transmettre des traditions et des savoirs d’une culture à une autre.
L’histoire et la géographie, en particulier, ont joué un rôle dynamique dans l’évolution des cuisines du monde entier. Chaque population, chaque communauté apportait ses propres traditions culinaires, qui se mêlaient à ses coutumes alimentaires ancestrales existantes.
Les échanges commerciaux notamment des épices et des produits agricoles et alimentaires ont également permis d’introduire de nouveaux ingrédients et de nouvelles techniques culinaires donnant naissance à des plats réinventés, revisités, inspirés des autres et inspirants pour d’autres. C’est ainsi que les cuisines du monde ont connu des mutations gastronomiques et se sont enrichies, frayant ainsi la voie au développement de la gastronomie humaine.
La cuisine arabo-ottomane en est le parfait exemple où se mêlent intimement les histoires gastronomiques mais aussi la grande histoire.
Héritage ottoman : l’histoire dans l’assiette
Lors de son intervention dans l’un des panels portant sur le patrimoine culinaire, du Golfe arabe jusqu'à l'océan atlantique, dans le cadre de la première édition des Journées arabes culinaires qui s’est déroulée les 1er et 2 février en Tunisie, la cheffe algérienne, Nassira Facih a mis l’accent sur l’importance de l’art culinaire comme pont de communication entre les différentes civilisations.
Elle a, en ce sens, évoqué les racines de certaines recettes de confiserie algérienne citant à titre d’exemple "Chbah Essafra" (une spécialité culinaire sucrée-salée du nord-est de l’Algérie). Selon la cheffe constantinoise, Aïcha Baya, fille de Salah Bey, serait à l’origine de ce plat. Un jour, en préparant une pâte d’amande sucrée et croyant l’avoir ratée, Aïcha Baya, la plaça sur la table comme dessert et fut stupéfaite de son appréciation par ses hôtes.
"Chbah Essafra" qui signifie "embellir la table dressée" est devenu l'un des plus grands classiques de la cuisine algérienne. Ce plat est composé de viande d’agneau et de fruits secs accompagnés de beignets (ou croquettes) de pâte d’amandes. Il est préparé principalement pour les grandes occasions, mariages, fêtes religieuses et durant le mois de Ramadan, en Algérie.
Pour sa part, Fadia Ben Hamed première secrétaire de l’ambassade de Libye à Tunis et une des superviseuses du stand libyen à l’événement, a déclaré à Anadolu que la cuisine libyenne, à son tour, ne s’est pas dénaturée au contact des étrangers, soulignant que des ressemblances gastronomiques figurent bel et bien entre les pays arabes et islamiques.
"En Libye, nous partageons beaucoup de plats avec nos voisins tunisiens comme certaines recettes du couscous ou encore le Osbane avec certaines particularités au niveau de la présentation ou de l’assaisonnement. Tandis que notre préparation du riz est plutôt proche du Moyen-Orient, et du Golfe arabe. Quant à l’influence ottomane, elle se manifeste dans les pâtisseries comme les baklava. C’est peut-être également des Turcs que nous nous sommes inspirés pour préparer les farcis de légumes comme le Mbatten et la Kofte", a-t-elle précisé.
Pour le chef tunisien, Slaheddine Ben Amira, la Tunisie dont la civilisation remonte aux temps préhistoriques, a toujours été un carrefour de civilisations. Sa cuisine résume un long voyage dans l’histoire. Quelques escales ont marqué la gastronomie tunisienne plus que d’autres mais l’identité culinaire berbère est toujours bien ancrée.
Turquie-Moyen-Orient : similitudes culinaires
Si les pays du Maghreb sont surtout influencés par les apports culinaires des Andalous et des Italiens, l’héritage gastronomique ottoman est beaucoup plus présent au Moyen-Orient, selon le chef Ben Amira. Cela se manifeste par les nombreux plats communs entre la cuisine turque et orientale.
Loin des rivalités, des controverses sur l’origine des plats ou la bonne façon de les cuisiner et des débats sur l’influent et l’influencé, les cuisines du Moyen-Orient et de la Turquie se ressemblent à bien des égards, partageant de nombreuses similitudes émaillées par quelques différences.
Le Liban notamment jouit, tout comme la Turquie, d’une longue histoire de traditions culinaires, ainsi qu'un climat et un relief similaires. Les deux cuisines disposent d'une sélection étendue d'épices et d'herbes, ainsi que d'une variété de viandes et de légumes.
Parmi les plats communs entre les deux pays figure le Lahmacun, l'un des plats les plus populaires dans les deux pays. Il se compose de boulettes de viande servies sur des pains plats appelés Lahmacun (également orthographié Laymakun). Les Mezés ou Mezzés sont également des assortiments servis avec du pain ou du riz que l’on trouve au Liban, en Syrie et en Palestine. Les mezzés les plus courants sont le Houmous et le Baba Ghanoush (trempette d'aubergine).
Les Keftedes (Boulettes de viandes cuites dans une sauce tomate), la Içli köfte (Kebbeh) et la Mercimek çorbasi (soupe de lentilles), ou encore la Dolma (légumes farcis) et la Sarma (enveloppe faite de feuilles de vigne farcies de viande ou de légumes, enroulées autour d'une garniture comme du bœuf haché ou des épinards) sont aussi des plats que l’on trouve en Turquie, au proche et Moyen-Orient, ainsi que dans d’autres régions de Méditerranée orientale, du Caucase, des Balkans sous différents noms avec quelques différences et variations d’assaisonnement ou de méthode de cuisson.
Par-delà ces ressemblances et ces différences, la gastronomie demeure un singulier pouvoir de rassembler des nations autour du plaisir originel, universel, des arts de la table. La convivialité et le partage sont assurés dans l’assiette.