Les traces de cette "invasion biologique" sont décelables aujourd'hui encore dans les régions des anciennes colonies des quatre empires européens considérés: portugais, espagnol, hollandais et britannique, selon l'étude parue cette semaine dans Nature Ecology and Evolution.
"Toutes les régions concernées avaient des compositions florales plus homogènes que celles d'autres régions qui n'appartenaient pas un empire colonial, mais se situaient dans la même zone", a expliqué à l'AFP Guillaume Latombe, maître de conférences en biologie des changements environnementaux à l'Université d’Edimbourg, un des principaux auteurs.
Les chercheurs menés par Bernd Lenzner, du département de botanique et recherche sur la biodiversité à l'Université de Vienne, ont constitué une base de données de près de 1.200 régions dans le monde, dont près de 800 situées dans d'anciens empires.
Ils l'ont ensuite croisée avec la base de données GloNAF, qui recense jusqu'à ce jour plus de 13.000 plantes étrangères naturalisées dans différentes régions du monde. Et ont calculé un indice de diversité, Zéta, qui mesure la plus ou moins grande similarité dans la composition florale de plusieurs régions.
Les chercheurs en ont conclu que les facteurs les plus importants pour qu'un empire laisse sa trace sur plusieurs territoires étaient sa durée de colonisation et son importance économique ou stratégique.
Terrarium transportable
C'est particulièrement vrai pour les empires espagnol et britannique, mais pour des raisons différentes.
L'Empire espagnol, allant du 15e au 20e siècle, "a duré très longtemps et dans une zone relativement groupée", en Amérique latine, remarque M. Latombe. Une proximité qui a favorisé "énormément d'échanges entre ces régions, et permis d'y répandre des espèces similaires".
L'Empire britannique, qui a démarré plus tard, au 17e siècle, s'étirait autour du globe, mais "à une époque de développement technologique et d'intensification du commerce". La marine à vapeur a ainsi grandement contribué aux échanges d'espèces florales entre colonies, tout comme l'invention par un Britannique du terrarium transportable, la caisse de Ward.
La colonisation florale des territoires avait des causes multiples, remarque l'étude.
Il y a eu les premiers colons qui pensaient ainsi assurer leur survie sur des terres inconnues, ou les scientifiques qui pensaient accroître la biodiversité, jusqu'au véritable réseau de jardins botaniques et d'acclimatation de l'Empire britannique, permettant l'échange et l'implantation d'espèces commercialisables. Sans oublier les invasions accidentelles, ou motivées par la nostalgie des colons pour la flore de leur patrie d'origine.
L'étude a aussi identifié, au sein d'un même empire, des centres stratégiques qui partagent une plus grande similarité florale que les régions situées à ses marges. C'est le cas pour les régions d'Asie du Sud-Est anciennement colonisées par les empires néerlandais et portugais.
Le plus étonnant pour M. Latombe est que "l'on arrive aujourd'hui encore à détecter le signal de ces échanges qui ont eu lieu il y a plusieurs centaines d'années, alors que les échanges commerciaux dans le monde ont été multipliés par trente depuis 1950".
L'étude avertit ainsi que le mouvement de globalisation va accroître l'échange d'espèces étrangères et que ses effets d'homogénéisation "seront détectables jusque dans un avenir lointain".