Dimanche, 7 heures du matin. La pluie tombe dans les rues vides de Paris. Seules quelques silhouettes, abritées tant bien que mal sous leur parapluie, se pressent aux abords de la Grande Mosquée de Paris, pour assister à la prière de l’Eid al-Adha (ou Eid el-kébir), la fête du sacrifice, chère aux musulmans. Là, une foule attend patiemment et en silence de pouvoir rentrer dans la mosquée. Des fidèles sont rentrés pour une première prière collective. Les autres attendent leur tour. «J’espère que la prochaine fois, la prière de l’Aïd aura lieu au stade de France», lance Kira ; «l'imam doit faire quelque chose, quand même, pour nous, au lieu de nous laisser dehors, comme ça, sous la pluie». Pour la retraitée, venue il y a plus de 30 ans d’Algérie pour travailler comme assistante personnelle en France, ce Aïd el-Kébir n’a plus la même saveur : «Je suis un peu triste, parce que cette année, j'ai perdu ma fille et j'ai perdu ma mère, à six mois d’intervalle». Malgré tout, elle garde le sourire et un optimisme inébranlable, guidée par sa foi. Et la perspective de l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite à la suite des élections législatives des 30 juin et 7 juillet ne l’effraie pas : «La vérité, je suis contre leurs pensées, parce que les musulmans, c'est la ceinture de la France». «On peut vivre ensemble, on peut être tranquilles ensemble», estime-t-elle encore, avant d’expliquer qu’elle verrait bien Dominique de Villepin au pouvoir en France.
Mimoun, venu avec sa fille de 9 ans du 13è arrondissement de Paris se dit également serein : «Dieu protège» estime-t-il. «On a un travail, les enfants vont à l’école. On est réglo. Et puis même s'ils nous demandent de rentrer au bled, je peux rentrer au bled, il n’y a pas de souci». Le Français d’origine algérienne votera, cependant, «Mélenchon», «un mec bien, qui comprend la situation et en a dans la tête».
“Si le pays ne veut plus de nous, on s’en va”
Widad, jeune marocaine installée en France depuis 5 ans, est aussi fataliste par rapport à la situation et une possible victoire du Rassemblement national : «Ici, je suis immigrante. Je suis venue ici pour travailler. Après, si jamais, demain, ils me disent “tu rentres”, je rentre dans mon pays, explique la jeune chef de projet en informatique. C'est tout. Si le pays ne veut plus de nous, on s’en va». Pour autant, la jeune femme trouverait ça «malheureux» : «Je suis ici depuis 5 ans. J'ai commencé à faire ma vie ici. Par exemple, si je pars au Maroc rendre visite à ma famille, (je m’aperçois que) chez moi, c'est ici. Parce que j'ai ma maison, j'ai mon travail, j'ai mes amis, mon entourage».
Israe a aussi fait le choix de s’installer en France. «Je suis venue pour étudier. Après, j'ai trouvé un travail. Je suis restée. Ça fait 16 ans que je vis en France. Je suis naturalisée. J'ai vécu 18 ans au Maroc et 16 ans ici. Donc bientôt, j'aurai vécu le même nombre d'années ici qu'au Maroc. Oui, le Maroc est mon pays de cœur. Mais j'ai choisi de vivre en France. Où est chez moi, du coup ? C'est ça la question».
L’ingénieure en informatique n’avait jamais voté. «Ça fait maintenant 6 ans que je suis Française. Mais la situation est tellement grave, que même moi qui suis apolitique, je commence à m'intéresser à la politique. Et bien sûr que je voterai. Je pense que ma voix comptera».
La jeune femme regrette que «la haine commence à prendre le dessus». «On se sent toujours pointés du doigt en tant que musulmans. Pourtant, il ne faut pas généraliser. C'est vrai qu'il y a eu des attentats qui ont été revendiqués par des soi-disant Etats islamiques, daech, etc. Mais il ne faut pas confondre l'islam et les extrémistes de l'islam. Je pense qu'on pourrait vivre tous dans la paix si on acceptait les différences de chacun». Mais si le RN passe, la jeune femme envisage de quitter la France : «Je ne sais pas ce que je ferai, réellement. Peut-être que je quitterai la France. Oui, peut-être. C'est ce qu'ils veulent. Mais bon, on verra».
“La France, ce n’est pas ça”
A cause de la pluie, Youssouf a fait tout le chemin depuis Bagneux pour prier à la Grande Mosquée de Paris, la prière en extérieur dans un stade de sa ville ayant été annulée. «(L’extrême droite) n’a que deux projets, explique-t-il. L’immigration, et l’islam. Mais comment peut-on diriger un pays, un grand pays comme la France, avec ces deux termes-là ? C'est quasiment impossible». «Quand je vois ces bras cassés, ces incompétents qui viennent ne nous parler depuis plus de 40 ans que de deux choses, l'immigration, l'islam. Oh, on est où là ? La France, ce n'est pas ça», poursuit encore le peintre en bâtiment, originaire du Sénégal. «Il y a beaucoup de gens qui sont là, qui se lèvent tous les matins, des immigrés qui sont prêts à donner tout à la France. Mais ces gens-là, majoritairement, ils sont mis de côté. Je ne sais pas, je ne comprends pas pourquoi», regrette-t-il, tout en pointant le fait que le président du Rassemblement national soit lui-même issu de l’immigration, puisque d’origine italienne et franco-algérienne : «S'il n'y avait pas l'immigration, Jordan Bardella n’existerait pas».