Dans le confort d'un salon de Vero Beach, coquette station balnéaire de Floride, la candidate à sa réélection dans un conseil scolaire en novembre reçoit chaleureusement pour parler de ce sujet qui la navre.
Jacqueline Rosario est soutenue par le groupe controversé "Moms for Liberty" ("Les mères pour la liberté"), qui affirme défendre les "droits des parents" mais est notamment accusé par ses détracteurs de s'opposer aux droits LGBT.
Institutions longtemps endormies et apolitiques, ces conseils, dont les membres sont élus, sont devenus de véritables poudrières avec la politisation de sujets comme la discussion du genre ou de la sexualité à l'école, ou l'enseignement du racisme.
Du même coup, l'éducation s'est retrouvée au coeur de certaines élections de mi-mandat, au-delà des seuls scrutins pour ces institutions scolaires.
"Pornographiques"
Jacqueline Rosario, quinquagénaire aux cheveux bouclés, a fait un combat personnel d'une des obsessions de Moms for Liberty, les livres "inappropriés".
Alors qu'elle explique les raisons de sa colère, la candidate interrompt d'ailleurs l'interview. "Est-ce que je peux vous lire quelques extraits?", demande-t-elle, prévenant être "mal à l'aise" à l'idée de le faire, tant ils sont "indécents".
Elle récite une scène de sexe tirée du célèbre roman "La Servante écarlate", de Margaret Atwood, devenu une série à succès. "C'est dégoûtant", conclut cette fervente chrétienne, la voix soudain sévère.
A peine le temps de reprendre son souffle, elle enchaîne sur l'extrait d'un autre livre, "Push", qui relate avec des détails crus le viol d'une enfant par son père.
"Cela n'a aucune valeur littéraire, scientifique ou politique pour des enfants", assure Jacqueline Rosario, qui voudrait voir ces livres "pornographiques" remplacés. Pourquoi pas par des ouvrages sur la "formation professionnelle", glisse-t-elle à l'AFP.
Et quels seraient les risques, pour un jeune élève exposé à ces lectures? C'est comme "ouvrir la boîte de Pandore pour des enfants censés conserver leur innocence", juge la républicaine.
Elle tient cependant à être claire, elle ne veut "ni interdire, ni brûler" ces livres, mais uniquement les sortir de l'espace scolaire - le message martelé par Moms for Liberty, qui veut éviter d'être diabolisé.
L'ancienne professeure d'anglais partage ses inquiétudes avec un très influent Floridien, le gouverneur Ron DeSantis. Publiquement appuyé par Moms for Liberty, il a, chose rare, soutenu des candidats aux conseils d'écoles - dont Jacqueline Rosario.
Drapeaux et pop-corn
Un peu plus tard dans l'après-midi, la candidate fait campagne dans une petite église de Vero Beach.
Le public semble acquis à sa cause. Entre un plateau de fromages et un bol de pop-corn, Terri Privett, élégante quinquagénaire friande des meetings de Donald Trump, s'inquiète que "la gauche endoctrine nos enfants avec des choses qui ne sont pas américaines".
La réception, elle, l'est tout à fait. Le tube patriotique "God Bless The USA" tourne en boucle - interrompu toutefois quand tous les participants se lèvent et prêtent allégeance au drapeau.
A l'entrée, un panneau lumineux appelle à voter pour Ron DeSantis afin de "sauver la Floride".
"Notre gouverneur est un défenseur des droits parentaux", se félicite Jennifer Pippin, responsable de la section locale de Moms for Liberty, convaincue qu'il en sera récompensé dans les urnes.
Pour les participants, le passé militaire et l'image de père de famille de Ron DeSantis, pressenti comme un candidat potentiel à l'élection présidentielle de 2024, sont autant de raisons de l'aimer.
A côté de Jennifer Pippin, sur une table, une liste des candidats anti-avortement qui se présentent aux diverses élections locales, un prospectus appelant à retirer ses enfants de l'école publique et une ribambelle de mini drapeaux.
Ainsi que deux piles de livres jugés problématiques - au total, le groupe en a identifié plus de 150 - car ils évoquent "le viol, l'inceste" ou "le sexe oral", s'insurge Jennifer Pippin. De nombreux post-it colorés indiquent chaque scène osée.
Maison Blanche
Le groupe a connu une ascension fulgurante. Crée en 2021, il s'est rapidement exporté hors des frontières de la Floride, et revendique aujourd'hui 100.000 membres dans 42 Etats.
"Vous allez voir qu'avec cette révolution des parents, la politique américaine va beaucoup changer", prédit Tiffany Justice, l'une des co-fondatrices.
Elle prédit un avenir politique radieux aux personnalités politiques qui, comme Ron DeSantis, s'engageront sur le sujet.
Ce dernier a d'ailleurs conquis tous les coeurs lors de la première conférence nationale de Moms for Liberty, où il a prononcé un discours. Les membres de l'association "auraient aimé qu'il soit leur gouverneur", reprend-elle.
"Et tant de mères ont dit qu'elles avaient hâte de voter pour lui à l'élection présidentielle!"