La montée de la famille Al-Assad au pouvoir en Syrie ne peut être comprise sans examiner le rôle historique joué par la colonisation française.
En morcelant le territoire syrien et en exacerbant les divisions communautaires et confessionnelles, la France a semé les graines d'un système politique et social propice à l'émergence d'une dictature comme celle de la famille Al-Assad.
Diviser pour mieux régner
Avant la Première Guerre mondiale, la Syrie faisait partie de l’Empire ottoman. À la fin du conflit, les accords secrets de Sykes-Picot (1916) ont préparé la dislocation de l’Empire ottoman et le partage de ses territoires entre les puissances coloniales.
La France obtient un mandat sur la Syrie et le Liban, officiellement pour préparer ces pays à l’indépendance. En réalité, cette administration coloniale se caractérise par une stratégie de division.
Sous le mandat français (1920-1946), le territoire syrien a été divisé en plusieurs entités administratives : l'État d'Alep, l'État de Damas, l'État autonome des Alaouites et celui des Druzes, en plus de la création du Grand Liban.
Ces divisions, basées sur des critères ethniques et religieux, ont renforcé les appartenances communautaires au détriment d'une identité nationale unifiée.
La politique française visait à affaiblir les mouvements nationalistes en jouant sur les rivalités locales, une stratégie du “diviser pour mieux régner”.
“La France perpétue et renforce le communautarisme et le confessionnalisme dans la région. Le Liban est finalement séparé de la Syrie et l’indépendance du pays vis-à-vis de la Syrie est proclamée le 1er septembre 1920”, rappelle pour franceinfo, l'historienne Nadia Hamour, auteure d’un ouvrage sur les relations entre l’Europe et le Proche-Orient.
“Grandeur et décadence” de la famille Al-Assad
Les Alaouites ont bénéficié des réformes introduites par les Français. En intégrant les forces armées syriennes, notamment à travers les Troupes spéciales du Levant, constituées durant la période du mandat français, les Alaouites ont acquis une influence militaire disproportionnée par rapport à leur poids démographique.
Ce rôle accru dans l’armée a posé les bases de leur ascension politique après l’indépendance, alors que le pays était confronté à des luttes internes et à une instabilité chronique.
Après l’indépendance de la Syrie en 1946, l’instabilité politique qui frappe la Syrie offre à ces groupes une opportunité de renforcer leur position.
L’armée, perçue comme un moyen de stabilité, devient un acteur politique central. C’est dans ce contexte que Hafez Al-Assad, issu d’une famille de la communauté alaouite, a exploité cet héritage pour consolider son pouvoir.
En 1970, il s'empare de la présidence à la suite d'un coup d'État, mettant fin à des décennies de luttes politiques internes pour le pouvoir, et affirmant l'hégémonie des Alaouites sur les structures de l’État syrien.
Sous sa gouvernance, la Syrie adopte une approche autoritaire centralisée, mais les divisions confessionnelles encouragées par la France durant son mandat restent un outil clé de gouvernance.
En favorisant sa propre communauté, tout en réprimant la majorité des Sunnites qui constituent le pays, Assad a perpétué un système basé sur la fragmentation sociale, ethnique et confessionnelle, un écho direct des politiques coloniales.
Les révoltes populaires et la guerre civile qui ont secoué la Syrie après 2011, et la chute récente de Bachar Al-Assad montrent combien les fractures ethniques et confessionnelles héritées de la période coloniale française ont continué pendant longtemps à alimenter l’instabilité du pays.
Le mandat français a préparé le terrain pour la montée de régimes autoritaires en Syrie en exacerbant les divisions internes. La famille Al-Assad a su exploiter ces fractures pour asseoir son pouvoir pendant un demi-siècle.
Cependant, les mêmes divisions, amplifiées par des décennies de répression et de conflit, ont contribué à la chute de leur règne.