Sous le titre "Tunisie: Pas un lieu sûr pour les migrants et réfugiés africains noirs", l'ONG Human rights watch signale des situations de maltraitance, dont des passages à tabac, des arrestations arbitraires et de vols d'argent et d'effets personnels de la part des forces de sécurité.
Pourtant, le silence assourdissant observé par les États africains et l'Union africaine passe mal.
Saadiah Mosbah, une militante anti-racisme tunisienne à la tête de l'association Mnemty (qui signifie "c'est mon rêve") a du mal à comprendre cette attitude.
"Je désespère des États africains.C'est comme si ces États se débarrassaient de quelque chose.Je suis déçue et ulcérée", s’est indigné l’activiste.
Pour HRW, il est très risqué aujourd’hui pour un migrant d'Afrique subsaharienne en état de clandestinité de s'aventurer en Tunisie. “Les autorités n'hésitent pas à refouler les migrants dans le désert sans eau, ni nourriture, ni abris et à pied sous des températures caniculaires de 40 degrés en moyenne, à 100 kilomètres des frontières libyenne et algérienne", a dénoncé la militante tunisienne anti-racisme Saadiah Mosbah.
Selon Frontex, l’agence européenne des gardes-frontières et des garde-côtes, plus de 102 000 personnes ont franchi illégalement l’année dernière la frontière avec l’Europe par la Méditerranée centrale (Tunisie et Libye), soit une augmentation de 51 % par rapport à 2021.
“Une prime à la maltraitance” ?
Le 16 juillet, Tunis et Bruxelles ont signé un partenariat stratégique en vertu duquel l'Union européenne devrait offrir à la Tunisie une enveloppe de 105 millions d'euros, afin de rapatrier 6000 Subsahariens. La Tunisie a accepté de sous-traiter la surveillance des côtes européennes, mais est ce au mépris des règles élémentaires de respect de la dignité humaine?
Pour la militante tunisienne anti-racisme Saadiah Mosbah, le discours du président Kaïs Saied du 21 février a envenimé la situation. Saied s'en prenait à l'immigration, notamment "la horde de migrants" venus d'Afrique subsaharienne pour "changer la composition démographique" du pays. En somme, la fameuse théorie du "remplacement".
Une semaine après le discours, a-t-elle expliqué, “des subsahariens expulsés de chez eux, chassés de leur travail, à qui on avait tout volé ou des femmes qui ont été violées sont venus camper devant l'Organisation des migrations internationales”. De 15 au départ, ils sont au moins 300 aujourd'hui qui ont choisi cet endroit pensant y être en sécurité.
Mais comment la Tunisie en est-elle arrivée là?
Politique de diversion
Le politologue béninois Romaric Badoussi a estimé que la conjoncture socio-politique de la Tunisie n'est pas du tout à l'apaisement.”Visiblement, le chef de l'État se sert du vieux classique de la crise migratoire, pour détourner l'attention de son peuple sur l'incapacité à répondre à leurs besoins”.
Pour M. Badoussi, le président tunisien a réalisé “son coup de force avec la promesse de trouver une solution aux difficultés des Tunisiens mais il a été rattrapé par la réalité qu’il n'arrive pas à répondre favorablement à la demande sociale des Tunisiens”.
“Il cherche à faire diversion. On crée une situation et on pointe des gens de l'index. Ça permet de fédérer les populations autour de soi”, a fait remarquer le politologue.
Pour un dialogue entre l'Afrique et l'Europe
Frontex a enregistré l'an dernier 330 000 franchissements irréguliers. Ce chiffre est en augmentation de 64 % par rapport à 2021 et représente le nombre le plus élevé depuis 2016.
C'est pourquoi, le diplomate camerounais Paul Batibonak "soutient qu'un vrai dialogue politique est incontournable entre l'Europe et l'Afrique au sujet de l'immigration, comme cela se fait déjà avec la Chine par exemple.
C'est une question de bon sens. Autrement, "la théorie du grand remplacement" qui alimente tant de fantasmes ne sera plus une vue de l'esprit.
D'après le rapport des Nations Unies “Perspectives de la population mondiale: révision de 2012”, plus de la moitié de la croissance de la population mondiale d'ici 2050 devrait se produire en Afrique. "La population de ce continent pourrait ainsi plus que doubler d'ici là, passant de 1,1 milliard aujourd'hui à 2,4 milliards en 2050, pour atteindre 4,2 milliards d'ici à 2100."
L'urgence et la nécessité de mettre en place de bonnes politiques publiques afin d'impulser le développement s'imposent également. Cela donnerait des perspectives et de l'espoir à la jeunesse. L'Europe gagnerait à accompagner une telle démarche tout comme la bonne gouvernance en Afrique, a plaidé le politologue béninois Romaric Badoussi.
Contrairement au narratif dominant, 80% de migrations se font sur le continent. Les migrants se déplacent à la recherche du travail ou des opportunités d'affaires, d'après les révélations de l'Organisation mondiale des migrations (OIM). C'est dire qu'avec le début de la ZLECAF (Zone de libre échange africaine)- avec un marché potentiel de plus d'un milliard de consommateurs pour un PIB combiné estimé à 3,4 billions de dollars par la Commission économique des Nations unies pour l'Afrique, il devrait y avoir plus d'opportunités de travail et d'affaires pour les jeunes africains et moins de candidats pour la traversée de la Méditerranée à la recherche d'un paradis illusoire.