À Bruxelles, des étudiantes ont initié une campagne via une pétition pour permettre aux futures enseignantes portant le voile d'exercer leur profession sans être contraintes de le retirer. Cette action intervient dans un contexte où l'interdiction des signes religieux dans les écoles publiques belges reste en vigueur.
Nora, qui poursuit des études supérieures pour devenir professeur de français et de religion islamique, partage son expérience et les motivations derrière cette initiative. Elle exprime son désaccord avec l'interdiction actuelle : “Il est scandaleux qu'en 2024, on dicte encore aux femmes comment se vêtir. Nous mènerions le même combat si c'était pour des femmes obligées de porter le foulard".
La future enseignante est inquiète du sort que lui réserve la société après ses études : “Les filles de ma classe et moi, nous nous retrouvons passionnées par nos études et au final, nous avons du mal à imaginer un avenir avec les compétences acquises. Il est difficile d’accepter que la société nous impose de renoncer à un vêtement auquel nous tenons pour participer pleinement aux activités sociétales.”
Elle confie à TRT Français avoir décidé de porter son foulard après avoir obtenu son diplôme de secondaire (équivalent du baccalauréat en France). Elle fût très vite découragée par une encadrante. “Nous préparions un voyage en Palestine avec mon ancienne école car nous avions dû le reporter à cause du Covid-19. Quand l’une des coordinatrices m’a vue avec mon foulard, elle n’a pas cessé de m’adresser des remarques déplacées. Elle est allée jusqu’à dire que je ne trouverai jamais de travail et elle a sous-entendu que je resterai femme au foyer”, déplore la jeune femme, aujourd’hui inquiète de ne pas être acceptée en tant qu’enseignante à l’issue de ses études.
Pénurie de professeurs
La demande de ces étudiantes intervient dans un contexte de pénurie de professeurs assez critique.
D’après l’Observatoire de l’Education et de la Formation de la Commission européenne (2023), la Belgique est de plus en plus confrontée à des pénuries d’enseignants. Les écoles ne parviennent pas à recruter rapidement des remplaçants qualifiés. Dès lors, la proportion d’enseignants peu ou non qualifiés est croissante. Ce qui perturbe notamment l’organisation des examens.
L’estimation en pénuries d’enseignants varie selon les communautés flamandes ou francophones. En Flandre, jusqu’en 2024, il a été nécessaire d’engager à temps plein 4 500 nouveaux enseignants par an dans l’enseignement secondaire. Dans l’enseignement primaire, les besoins en recrutement s’élèvent à 2 000 enseignants “équivalents temps-plein” par an jusqu’en 2027-2028, selon le ministère flamand de l’Education et de la Formation (2019).
D’après le service d’emploi public flamand VDAB, dans les écoles secondaires flamandes, en 2022-2023, les pénuries ont principalement touché les postes d’enseignants de mathématiques, de langues et de matières techniques. Toujours en 2022, le VDAB a reçu 15 000 offres d'emploi pour des postes d'enseignants du secondaire.
En Communauté française, les écoles bilingues sont impactées par le manque de formateurs linguistiques qualifiés. Sébastien Goffe, directeur de JOBécole, une plateforme d’offre d’emploi de l’enseignement libre, s'inquiétait en début d'année dans plusieurs médias belges. Il déplorait la difficulté de trouver des instituteurs pour le primaire et des professeurs en secondaire pour le français, le néerlandais et les sciences. En effet, la réserve d’enseignants encore disponibles sur le marché était déjà peu fournie en ce début d’année. Et les remplaçants s’épuisent de plus en plus tôt dans l’année scolaire.
Un phénomène qui touche par ailleurs plusieurs pays européens. En octobre 2023, les syndicats enseignants de l'UE ont mené une action publique et ont présenté dix recommandations au gouvernement, pour un enseignement plus attractif.
“La neutralité n’existe pas”
Le principe de neutralité empêche les enseignantes portant le foulard d’exercer. En Fédération Wallonie-Bruxelles, la neutralité dans l’enseignement est fixée par un décret (31 mars 1994). Au niveau national, l'article 24 de la Constitution garantit la neutralité dans l’enseignement organisé par la Communauté française, dans l’enseignement officiel subventionné et dans l’enseignement libre non confessionnel subventionné qui adhère au principe de la neutralité.
Pour Nora, cette neutralité n’existe pas : “Je pense qu'on peut tendre vers la neutralité, mais je ne pense pas qu’elle existe réellement. Une personne qui enseigne et qui est contrainte d'enlever son foulard lorsqu'elle donne cours, au final, elle est ce qu'elle est, elle est toujours une personne de confession musulmane. Et à la sortie des cours, les élèves la verront remettre son foulard”. L’étudiante insiste sur l’importance pour les élèves de pouvoir s’identifier à des professeurs diversifiés.
Elle détaille : “je trouve important qu'on puisse en tant qu'élève se reconnaître dans n'importe quel professeur. On est tout de même à Bruxelles, une ville où se côtoient plus de 180 nationalités différentes. On vit dans cette diversité et, paradoxalement, on nous dit que dans le secteur de l'enseignement, on doit être neutre. On ne peut pas montrer des signes qui nous distinguent les uns des autres alors qu'on vit dans cette diversité”.
Objectif 15 000 signatures
La pétition a déjà recueilli près de 2 600 signatures, mais les étudiantes espèrent atteindre un objectif plus ambitieux de 15 000 signatures. La démarche de Nora et ses camarades vise à sensibiliser le public sur cette question et à influencer les décideurs politiques pour qu'ils reconsidèrent l'interdiction des signes religieux dans l'enseignement. Elles appellent à une réflexion plus approfondie sur la notion de neutralité et sur la manière dont elle peut être conciliée avec la liberté individuelle et la diversité.