Il y a de cela trente-trois ans, cinq pays d’Afrique du Nord –Algérie, Maroc, Mauritanie, Tunisie et Libye- ont décidé de créer l’Union du Maghreb arabe (UMA), un ensemble politico-économique construit sur le modèle de la Communauté économique européenne (CEE), devenue plus tard l’Union européenne. Dans l’euphorie des premières années de cette entente cordiale, les cinq pays ont supprimé les visas, bâti des projets ensemble et créé des sociétés mixtes à leurs frontières, plus particulièrement entre l’Algérie et la Tunisie d’un côté et l’Algérie et la Mauritanie de l’autre. Des organismes, notamment un secrétariat général et un parlement ont été créés. Ils fonctionnent toujours à minima et les sommets, devenus rituels à un moment donné, se sont raréfiés avant de disparaître.
Ce chantier a toutefois vite été abandonné. Le conflit du Sahara Occidental, les différences dans la nature des régimes politiques des pays de la région et les ingérences étrangères ont fait que le projet n’aboutisse pas, explique Omar Benjelloun, professeur de Droit international à l’Université de Rabat (Maroc). Alors que le Maroc défend sa souveraineté sur le Sahara et propose un plan d’autonomie, le front polisario soutenu par l’Algérie revendique l’indépendance de ce territoire. A cela s’ajoute l’apparition, dans les années 1990, du terrorisme islamiste en Algérie qui accusait alors le Maroc d’en abriter des dirigeants.
En 1994, suite à un attentat à Marrakech, le Maroc a décidé de fermer ses frontières avec son voisin de l’Est. L'attaque a en effet exacerbé les tensions entre l'Algérie et le Maroc, Rabat soupçonnant l'implication des services secrets algériens.
Les relations entre les deux voisins n’ont alors cessé de se dégrader jusqu’à la rupture totale des liens diplomatiques, décidée par l’Algérie en août 2021.
Le désenchantement
C’est dans ce climat que le chef de l’Etat algérien, Abdelmadjid Tebboune, a annoncé en décembre dernier son intention de relancer le projet de l’UMA. «Le rêve de l’unité maghrébine ne pourra jamais être anéanti», a assuré le ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf. « J’attends avec impatience le jour où nous tenterons de nouveau de relancer cette édification », a-t-il ajouté dans une interview accordée à Al-Jazeera en décembre.
Dans la foulée, il s’était rendu à Tunis, Tripoli et Nouakchott avec, à chacune de ces étapes, une lettre manuscrite du président algérien à ses homologues. C’est sans doute cette tournée qui a abouti au sommet à trois le dimanche 03 mars. Les dirigeants d’Algérie, de Tunisie et de Libye se sont entendus sur la tenue d’une série de réunions trimestrielles dont la première est prévue en avril prochain à Tunis.
“Le Maroc et l'Algérie, les deux axes du Maghreb”
Mais cette entreprise est-elle possible sans associer le Maroc ? Pas selon Omar Benjelloun qui estime qu’on « ne peut créer une institution régionale de type géopolitique sans intégrer le déterminisme géographique » parce que « les deux axes du Maghreb sont le Maroc et l'Algérie ». Pour lui, , les autres pays qui participent à cette nouvelle initiative « demeurent satellitaires notamment dans cette initiative algérienne qui s'inscrit dans son rapport conflictuel au Maroc ». En revanche, cela « peut être utile » pour relancer l’UMA « puisque des projets existent » entre ces pays, estime le politologue tunisien Kamel Benyounès qui pense que « même à trois », le processus peut être relancé. Preuve en est que la Commission économique européenne avait commencé par un nombre réduit de pays avant de s’élargir.
Par « projets », le spécialiste du Maghreb évoque les institutions existantes comme le Parlement maghrébin et le secrétariat général, mais également des projets économiques comme les investissements conjoints entre des entreprises de ces pays.
Ce que beaucoup de politiques n’évoquent pas c’est le « manque à gagner » de l’absence de l’UMA. Selon Kamel Benyounès, les pertes de cette situation sont estimées entre 4 à 5% du PIB pour l’ensemble des pays de la région qui sont souvent obligés de s’approvisionner ou de vendre plus loin leurs marchandises alors qu’un marché commun existe. Les échanges entre les pays du Maghreb sont très limités. A titre d’exemple, le montant des échanges commerciaux entre l’Algérie et ses voisins immédiats était de 2,21 milliards de dollars en 2018, issus essentiellement de ses ventes d’hydrocarbures et de l’électricité.
Des perspectives sont ouvertes pour plus d’échanges commerciaux avec la Mauritanie et la Tunisie. Mais cela reste très limité pour un ensemble régional qui compte environ 120 millions d’habitants.