Selon que vous soyez rat des champs ou rat des villes, les transports en commun vous sauveront ou non.
Avec la pénurie de carburant dans l’Hexagone, les files d’attente s’allongent aux abords des stations essence. Si la crise semble toucher à sa fin- la grève est levée dans les sites TotalEnergies dans le Nord et les Bouches du Rhône- la fin de la pénurie de carburant ne suffira pas à cacher la partie immergée de l’iceberg.
Une France ou des France ?
Moins visible mais tout aussi prégnante, la ligne de faille entre les deux France se fait de plus en saillante.
Selon l’Insee, moins de 75% des Français ont recours à un véhicule pour aller au travail. C’est la France des métropoles. A l’inverse, dans celle des périphéries voire de la diagonale du vide, plus de 85% de habitants sont dépendants d’un véhicule motorisé pour gagner leur vie mais aussi faire tourner l’activité économique de ces territoires. En ces temps de disette hydrocarbure, cette crise apparaît comme une répétition générale des nombreuses crises à venir sur le sujet. Et le sujet est bien plus épineux et profond qu’il n’y paraît.
Car il révèle, en creux, le rapport des Français à leur voiture, leur dépendance dont le curseur varie en fonction de leur ancrage géographique et social. Dans une interview accordée à France Info le 18 octobre dernier, Carlos Tavarès, pdg du groupe Stellantis, commentait l’une de ses saillies précédentes : "les Français sont amoureux de leur voiture mais fondamentalement autophobe". Le patron de Stellantis a pointé le "contraste saisissant entre les commentaires des Français sur leur automobile (très attachés) et de l’autre côté on a une accumulation d’entraves à l’usage" des voitures en France, notamment sur la question "fiscale, sur les taxes qui pèsent dessus, les limitations d’usage". Et C.Tavarès d’aborder en creux la transition écologique : "la question à se poser" étant "quand l’automobile sera parfaitement propre, est-ce que ces entraves vont continuer à croître ?". Une question presque sarcastique qui pointe les politiques publiques liées à la transition énergétique et qui croise, en filigrane, le rapport des Français à leur véhicule, la fracture territoriale mise en lumière par la crise du carburant, le tout imbriqué dans la fameuse Transition énergétique, pierre angulaire de la politique écologique du gouvernement français et de l’Union européenne.
Voiture contre climat, un non-choix
D’où la grogne des Français, dont 45% déclarent ne pas avoir accès aux transports en commun, selon le Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie). Un besoin synonyme de dépendance à la voiture pour travailler et se déplacer. Un attachement qui a des conséquences. Selon une étude du Citepa (Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique), les véhicules des particuliers en France génèrent un sixième de la contribution française au changement climatique (15,7%), dépassant à elle seule, celle des poids lourds (6.3%).
Un constat implacable en forme de dilemme pour les pouvoirs publics. Comment préserver la liberté de se mouvoir et de travailler des Français tout en réduisant les émissions des gaz à effets de serre ? D’autant que la réduction des émissions de gaz à effets de serre suit un calendrier, à court terme.
Démocratiser la Transition énergétique
Entretemps, la colère sociale monte à bas bruit. Dans un pays où le prix du carburant peut plonger le politique dans une réalité inflammable- la crise des Gilets jaunes de l’hiver 2018 en a été un exemple-, les prochains jalons de la feuille de route gouvernementale annoncent-ils des crises en pagaille ? L’extension des zones à faible émissions (ZFE), prévue par la loi "climat et résilience" s’annonce déjà comme une étape périlleuse pour les pouvoirs publics. Dès 2035, les agglomérations de plus de 150 000 habitants devront disposer de ZFE. Un objectif ambitieux doté d’un volet social comme le prêt à taux 0 destiné à financer l’achat d’un véhicule propre.
Dans ce contexte de tension aux stations-service, files d’attente et crise de nerfs à la pompe ne seront plus qu’un lointain souvenir. A condition que le développement des ZFE bénéficie à tous…
Voiture électrique, nouveau miroir des inégalités ?
Destinée à contenir la pollution dans les zones les plus denses, le dispositif veut promouvoir les véhicules les plus propres. En finir avec le diesel, longtemps, promu par les pouvoirs publics pour soutenir l’activité dans cette fameuse diagonale du vide. Actée par l’Union européenne en juin dernier, la fin de la vente des véhicules thermiques d’ici 2035, pose un véritable défi aux pays membres tant l’échéance est proche. Dans une France traversée par des disparités territoriales corrélées aux écarts socio-économiques, le coût des véhicules électriques reste l’autre versant de la bataille écologique. Si Carlos Tavarès prévoit un alignement du prix de la voiture électrique sur celui de l’équivalent thermique grâce à "l’effet volume, l’augmentation de la demande", il plaide aussi pour des politiques cohérentes et réalistes de la part des états et de l’Union européenne. Car au-delà de la question délicate du prix, les équipements restent insuffisants. Avec 67 000 bornes électriques sur le territoire, l’objectif d’ici la fin de l’année est fixé à 100 000. Actuellement, les chiffres officiels avancent 1 borne publique pour 10 habitants avec des disparités territoriales. Un maillage poussif du pays mais dont les plus modestes se contentent. Le coût d’installation d’une borne domicile pouvant grimper à 10 000 euros.
En Ile-de-France, 10 210 bornes ont été installées contre 1 082 en Pays-de-la Loire ou 2 388 en région Centre. Un calque probable des disparités territoriales.