L’industrie cinématographique turque ne se limite pas à sa créativité. Derrière chaque série à succès se cache une machine économique bien huilée, qui s’appuie sur un écosystème en plein essor (AA) (Others)

Dans les années 90, les séries dramatiques mexicaines dominaient le petit écran marocain, avant de céder la place, aujourd’hui, aux séries turques. Véritable phénomène culturel, ces programmes télévisés ont su conquérir un public marocain avide d’émotions fortes et de récits authentiques. «Regarder une série turque, c’est bien plus qu’un simple divertissement. C’est plonger au cœur d’une culture riche où les intrigues sont presque trop bien ficelées», confie Sabrina, fan invétérée, qui ne manque jamais une occasion de suivre les dernières productions en vogue sur Netflix.

Depuis quelques années, les foyers marocains sont conquis par ces productions venues d’Istanbul, mêlant qualité visuelle et profondeur narrative. En effet, les séries turques offrent une immersion totale, soutenue par un jeu d’acteur subtil, sans se laisser enfermer dans des stéréotypes, contrairement à d’autres productions plus standardisées. Cette flexibilité dans le jeu contribue à la richesse des intrigues, où les thèmes universels tels que l’amour, l’honneur, ou encore la famille trouvent un écho direct dans la culture marocaine. «C’est à peu près le même schéma que les séries mexicaines, qui ciblent l’amour et les histoires de famille, tout en brossant un beau portrait de la Turquie. Ce modèle séduit en Afrique, mais aussi en Espagne», explique Saïd Andam, producteur et fondateur de Ozz Films.

Le succès des séries historiques turques n’est plus à démontrer. Le spectateur marocain découvre non seulement des histoires captivantes, mais aussi un patrimoine culturel riche à travers des costumes et des décors minutieusement élaborés. Ce raffinement n’est pas sans rappeler le succès de productions locales comme «Bnat Lalla Mennana», où l’on retrouvait un soin similaire accordé aux costumes traditionnels. Et au-delà de la simple esthétique, les réalisateurs turcs placent les décors naturels de leur pays au centre de leurs créations. Plages, montagnes, villes historiques… «tout concourt à offrir une expérience visuelle unique, loin de l’uniformité des séries centrées sur la vie domestique», fait remarquer Sabrina. Autre avantage de taille, la disponibilité des séries tout au long de l’année, à l’inverse des productions ramadanesques au caractère saisonnier, qui force le spectateur à patienter chaque année jusqu’au mois sacré pour consommer des œuvres de qualité.

«Enjeu de soft power»

L’industrie cinématographique turque ne se limite pas à sa créativité. Derrière chaque série à succès se cache une machine économique bien huilée, qui s’appuie sur un écosystème en plein essor. C’est «grâce à une solide formation des producteurs et des professionnels de la post-production, que la Turquie a su structurer son industrie cinématographique. L’implantation de Netflix en Turquie n’a fait qu’accélérer cette dynamique, offrant une liberté d'entreprendre que le Maroc, avec une industrie encore contrôlée, peine à atteindre», surenchérit le fondateur de Ozz Films.

Ce modèle économique repose sur une politique ambitieuse de subventions publiques et de partenariats privés. Selon Levent Yilmaz, réalisateur turc : «La Turquie a su allier talent et économie, transformant chaque production en une vitrine internationale de sa culture. La série n’est plus seulement un divertissement, elle devient un produit d’exportation stratégique». Le gouvernement turc, conscient de l’impact de ces séries, ne se contente plus de soutenir l’industrie par des incitations fiscales, mais encourage également la diffusion à l’étranger.

Au Maroc, les plateformes de streaming et les chaînes de télévision publiques se disputent ces contenus prisés. Plusieurs séries turques ont été achetées par des chaînes marocaines, renforçant ainsi le lien culturel entre les deux pays. Cet engouement est d’ailleurs soutenu par des campagnes de publicité ciblées, où les annonceurs locaux voient dans les séries turques une opportunité de toucher un large public familial, en accord avec les valeurs véhiculées par ces productions.

Toutefois, ce succès n’est pas sans conséquences. La montée en puissance de l’industrie audiovisuelle turque a également redéfini les attentes des téléspectateurs marocains, devenus plus exigeants quant à la qualité des contenus locaux. «L’économie du cinéma turc a imposé, de fait, un nouveau standard, où chaque série devient une vitrine commerciale, un enjeu de soft power. Et c’est clairement un modèle à suivre», précise Saïd Andam. En 2024, la Turquie a grimpé de 10 places dans l'indice mondial du soft power, pour se hisser à la 18e position dans la catégorie «Médias et Communication».

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L’industrie cinématographique turque a bénéficié d'importants investissements publics et privés. Le gouvernement vise à accroître la part de la Turquie dans les investissements directs internationaux à 1,5% d'ici 2028, ce qui témoigne de l'engagement du pays à renforcer son secteur culturel. D’ailleurs, la Turquie s’est imposée comme le troisième plus grand exportateur de séries télévisées au monde, derrière les États-Unis et le Royaume-Uni, avec une demande en hausse de 184% entre 2020 et 2023. En 2022, les exportations turques de séries ont atteint environ 600 millions de dollars, et les prévisions indiquent une croissance continue dans les années à venir. Parmi les principaux importateurs de ces séries figurent l'Espagne, l'Arabie Saoudite et l'Égypte.


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