“On voit pleuvoir les condamnations, parfois très lourdes, jusqu’à plusieurs années de prison ferme”, constate le magistrat, désormais président de la cour d’assises à Versailles. “On est dans un véritable abus, un usage totalement dévoyé de la loi”, ajoute-t-il.
La critique n’émane pas de n’importe quel juge. Marc Trévidic a été juge d'instruction au pôle antiterroriste de Paris pendant neuf années, il a notamment instruit les affaires de l’attentat de Karachi, des moines de Tibéhirine, et du génocide au Rwanda et surtout il a lui-même plaidé auprès du ministre de l’Intérieur de l’époque pour durcir les peines encourues en cas d’apologie du terrrorisme afin de contrer les sites islamistes en ligne qui recrutaient de jeunes Français.
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Créée en 2006, l’apologie du terrorisme était une infraction relevant du droit de la presse et donc de la liberté d’expression avant de passer en 2014 dans le droit commun pour être réprimée plus sévèrement. La peine encourue est de cinq ans d’emprisonnement, sept si publication en ligne.
Ces derniers douze mois, cette loi est utilisée principalement contre des militants pro-palestiniens. Même lorsque les propos sont mesurés et veulent expliquer pourquoi le Hamas existe, l’impétrant se voit accusé de soutenir une organisation terroriste. Les plaintes ont touché des journalistes, des chercheurs, des syndicalistes et même des députés. Pour avoir replacé l’attaque du 7 octobre dans le contexte du conflit israélo-palestinien, plusieurs activistes, dont la militante Sihame Assbague et la juriste franco-palestinienne Rima Hassan élue européenne, ont été convoquées.
Une explosion des signalements pour “apologie du terrorisme”
Depuis le début de guerre à Gaza, les signalements et plaintes pour “apologie du terrorisme” a explosé, précise le journal français soulignant qu'entre le 7 octobre 2023 et le 23 avril 2024, le parquet de Paris, qui gère la majorité de ces affaires, comptait 386 saisines en lien avec ce conflit – à titre de comparaison, pour l’année 2022, le pôle haine en ligne avait été saisi 500 fois, toutes affaires confondues.
La plupart de ces signalements émanent d’associations juives qui soutiennent la politique israélienne et qui assimilent toute critique d’Israël à une démarche anti-sémite.
Une explosion de condamnations pour “apologie du terrorisme”
L’ancien juge anti-terrorisme analyse le danger de cette loi, “tous les tribunaux sont compétents, tous les juges peuvent apprécier si une parole, un texte, une pancarte est un acte terroriste ou pas”, remarque le magistrat. “Or, c’est une notion qu’il faut savoir manier. C’est dangereux de ne pas avoir de spécialiste là-dessus”, conclut-il.
D’autant plus dangereux que l’ancien ministre de la Justice Dupont-Moretti a dès octobre 2023 fait la consigne à ses troupes d’être intransigeantes et fermes sur les commentaires liés aux attaques du 7 octobre.
Les condamnations sévères se sont multipliées depuis un an. Un syndicaliste CGT a été condamné à un an de prison avec sursis pour un simple tract diffusé après les massacres du 7 octobre 2023. Un autre a été condamné à 20.000 euros d’amende et trois ans d’inéligibilité. Les gardes à vue se multiplient, certaines personnes sont incarcérées avant leur présentation à un juge comme une militante pro-palestinienne de Nice.
Edwy Plenel dans une tribune d’avril 2024 parlait de “maccarthysme à la française” ou de politique de la peur. Ou quand la loi devient l’otage du soutien inconditionnel du gouvernement français à Israël.