Le conflit entre la Russie et l’Ukraine finira-t-il par s’exporter en Afrique ? La question revient depuis que des officiels militaires ukrainiens ont fait état de leur implication aux côtés des rebelles dans les derniers combats entre séparatistes et l'armée dans le nord du pays. L'objectif étant de contrecarrer la Russie en Afrique.
Samedi 27 juillet, un convoi de l'armée malienne et des conseillers militaires russes du groupe Wagner est tombé dans l’embuscade des rebelles du Cadre Stratégique pour la Défense du peuple de l’Azawad (CSP-DPA), près de Tin Zaouatine à proximité de la frontière algérienne.
Au-delà des polémiques, le bilan est lourd aussi bien pour l'armée malienne que les conseillers militaires russes.
Une situation qui a aussitôt suscité une réaction du gouvernement malien.
"Le gouvernement de transition de la République du Mali a appris, avec une profonde émotion, les propos subversifs par lesquels M. Andriy Yusov, porte-parole des services de renseignements militaires ukrainiens, a reconnu l'implication de l'Ukraine dans une attaque lâche, traîtresse et barbare de groupes armés terroristes qui s'est soldée par la mort d'éléments des forces de défense et de sécurité maliennes à Tinzaouaten ainsi que par des dégâts matériels", a indiqué le porte-parole du gouvernement, le colonel Abdoulaye Maiga, dans un communiqué.
Peu avant, l’ambassadeur d'Ukraine à Dakar, Yurii Pyvarovov, a été convoqué par la ministre sénégalaise de l’Intégration africaine et des Affaires étrangères (MIAAE) et lui a rappelé, à l’occasion, ses obligations de discrétion, de retenue et de non-ingérence, a indiqué, samedi, le MIAAE par voie de communiqué.
Ce rappel fait suite, selon la note, à la publication sur Facebook d’une vidéo de propagande de l’armée ukrainienne accompagnée d’un commentaire de soutien de l’ambassadeur d’Ukraine à Dakar (lui-même) à "l’attaque terroriste" perpétrée contre les forces armées maliennes (FAMa), les 25 et 27 juillet 2024 à Tinzaouatene, par des rebelles touaregs et des membres du Groupe de Soutien à l'Islam et aux Musulmans (JNIM).
Inadmissible pour le Mali qui, dimanche 4 août 2024, a aussitôt décidé “de la rupture des relations diplomatiques avec l’Ukraine, avec effet immédiat”, a souligné le porte-parole du gouvernement malien. Le pays s’engage aussi à “saisir les autorités judiciaires compétentes et de prendre les mesures nécessaires pour empêcher toute déstabilisation du Mali à partir des États africains”.
Bamako promet aussi “d’alerter formellement les instances régionales et internationales ainsi que les États qui soutiennent l'Ukraine du fait que ce pays a affiché ouvertement et publiquement son soutien au terrorisme”, indiquent les autorités maliennes.
"La décision du gouvernement de transition de la République du Mali de rompre ses relations diplomatiques avec l'Ukraine est à courte vue et précipitée", a regretté, de son côté, le ministère ukrainien des Affaires étrangères dans un communiqué.
Risque de contagion
Le Mali, le Niger et le Burkina Faso sont liés depuis le 16 décembre 2023, par un pacte de défense et de solidarité. Celui-ci stipule que ces trois pays s'engagent à dessiner une architecture de défense commune et d’assistance mutuelle pour lutter contre le terrorisme notamment.
En s’attaquant au Mali, l’Ukraine s’en prend donc, de facto, au Niger et au Burkina Faso, en vertu de la charte du Liptako-Gourma, le ciment de l’Alliance des États du Sahel (AES).
L’AES traduit une mutualisation des efforts dans la lutte contre le terrorisme et le crime organisé qui menace de déstabiliser les États du Sahel. Contrairement à l'ancien partenariat avec la France via le G5 Sahel et la force Barkhane, les États de l’AES s'appuient désormais sur un partenariat militaire avec la Russie. D'où la présence des soldats de Wagner aux côtés de l'armée malienne.
Dans un communiqué rendu public le 2 août, “le Burkina Faso réaffirme son soutien aux forces armées maliennes et rappelle l’importance de la non-ingérence dans les affaires intérieures des États souverains”. Il exhorte l’Ukraine à se “ressaisir et à cesser tout soutien aux groupes terroristes, qui menacent la paix et la sécurité internationales”.
Le laboratoire
Au regard de l’importance de la République centrafricaine dans le dispositif stratégique Russe en Afrique, ce pays pourrait aussi attirer l’attention de l’Ukraine.
Si l’Ukraine maintient sa logique de s’en prendre aux États africains coopérant militairement avec la Russie, il n’est pas exclu que la République centrafricaine soit, également, dans le collimateur des autorités de Kiev.
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Bangui apparaît comme le précurseur et le laboratoire d’une nouvelle coopération militaire entre Moscou et les pays africains.
Outre la formation des soldats centrafricains, la sécurisation de Bangui la capitale, les soldats de Wagner équipent l'armée et assurent, de surcroît, la sécurité rapprochée du chef de l’État.
Les autorités centrafricaines se défendent d’avoir un accord de défense avec la Russie pour justifier la présence de Wagner dans le pays.
La République centrafricaine, rapporte l’agence Tass, en date du 16 janvier 2024, citant Fidel Ngouandika, conseiller du président Faustin Touadera, est favorable à l'installation d’une base militaire à même d'héberger 10 000 soldats.
La situation géographique du pays, au centre de l'Afrique, permet, d'après les experts, de rallier n’importe quel point du continent en une heure en moyenne, avec un avion de chasse. De quoi conférer à la Russie une grande influence sur le continent. Au grand dam de l’Ukraine qui rêve d’entraver l’influence russe en Afrique, par tous les moyens.