Les présidents français et algérien en août 2022 à Alger (Others)

Faut-il abroger l’accord de 1968 signé entre l’Algérie, fraîchement indépendante, et la France ? Régulièrement brandie dans le débat public français, l’idée semble faire son chemin comme un enjeu de politique migratoire. Depuis l’affaire des influenceurs algériens et le renvoi par Alger de Doualemn, poursuivi pour "provocation à commettre un crime" et maintenu en rétention administrative au CRA (Centre de rétention administrative) en Seine-et-Marne, la classe politique française, de Gabriel Attal à Marine Le Pen, est vent debout contre cet accord bilatéral.

Xavier Driencourt, ambassadeur de France en Algérie à deux reprises (2008 à 2012 puis 2017 à 2020), a largement contribué à placer cet accord sous le feu médiatique. En 2023, il publiait ainsi : "Politique migratoire : que faire de l’accord franco-algérien de 1968", une note commandée par la Fondapol, influent think tank classé à droite. Décrit comme daté, le texte, selon lui, devrait "être dénoncé unilatéralement" par la France. Une position sans ambages et étonnante si l’on se réfère à ses positions précédentes.

Dans une interview donnée sur la chaîne algérienne Berbères tv, Xavier Driencourt, qui n’a pas entamé, alors, son second mandat propose de "toiletter" le texte tout "en gardant sa philosophie qui est celle d’un régime un peu particulier entre la France et l’Algérie parce que ce sont deux pays qui ont une relation particulière". Le ton est calme, le propos mesuré. Il faut dire que le sujet n’est pas encore devenu la marotte de l’extrême droite que Xavier Driencourt, entre autres, a permis de fabriquer. Une marotte construite sur le terreau fertile du populisme, renforcé par le langage caricatural des réseaux sociaux. Ce contexte empêche une juste appréciation de ce texte emblématique de la relation entre la France et l’Algérie.

Car, contrairement à la doxa actuelle, l’accord de 1968 est loin d’être défavorable aux autorités françaises. Signé dans le sillage des accords d’Evian en 1962, actant la fin de la Guerre d’Algérie, le texte de 68 venait pour en finir avec la libre circulation permise par la fin de ce conflit.

Au lendemain de l’indépendance algérienne, "tout Algérien peut circuler librement avec une pièce d’identité entre les deux pays", rappelle, dans une interview avec TRT Français, Brahim Oumansour, directeur de l’Observatoire du Maghreb à l’IRIS (l’Institut de relations internationales et stratégiques)et auteur de "L’Algérie, un rebond diplomatique". À l’origine, cette disposition vise à faciliter, notamment, l’accès des Pieds-noirs (Français installés en Algérie au cours de la colonisation), à la métropole et vice-versa. En réalité, de nombreux Algériens vont partir en France à la recherche de travail.

Une règle valable pour les Français, comme le prévoit la bilatéralité de cette disposition, signée par Abdelaziz Bouteflika, alors ministre des Affaires étrangères et l’ambassadeur français. Dès 1968, la part des Algériens admis en France passe à 1 000 par mois. Le quota évolue par la suite à 30 000 travailleurs algériens en 1969. En parallèle, d’autres dispositions s’ajoutent à cet accord avec la possibilité de se former professionnellement et des conditions de résidence assouplies.

Ainsi, un certificat de résidence de 10 ans peut être accordé après 3 ans de présence en France ou des facilités sont accordées pour ceux qui veulent fonder une entreprise dans l’Hexagone, explique Brahim Oumansour. En contrepartie de ces facilités, d’autres mesures désavantagent les Algériens. Par exemple, le passeport Talent, titre de séjour pluriannuel dont sont exclus les étudiants ou l’impossibilité pour eux de travailler plus de 18 heures par semaine, une fois en France, illustrent bien ce régime particulier découlant de l’accord de 68.

“D’ailleurs, la régularisation par le travail est beaucoup plus restrictive pour eux”, souligne Brahim Oumansour qui voit les polémiques actuelles comme "une solution contre-productive agitée par les politiques pour diminuer les flux migratoires". Et le chercheur d’ajouter : "la fin de cet accord impliquerait pour la France et l’Algérie de revenir à Évian et à la libre circulation entre les deux populations".

Un accord qui organise la circulation entre les deux pays

Difficile, donc, de nier, alors, une certaine forme d’instrumentalisation de ses pourfendeurs. "L’accord est révisable et il l’a été à trois reprises, en 1985, 1994 et 2001", ce qui indique que la France, soucieuse de contrôler ses frontières peut faire entendre sa voix. Si les négociations de 2010 sous l’ère Sarkozy ont échoué, la France contrôle, de manière unilatérale, l’octroi de ses visas aux Algériens. "En 2021, elle a réduit les attributions de 50%", relève Brahim Oumansour.

Comment expliquer, face à ces données tangibles, l’hystérisation autour de cet accord ? Comme souvent entre la France et l’Algérie, les clés de cette relation sont à chercher dans le passé.

Si les thuriféraires de l’extrême droite accusent Alger d’instrumentaliser l’Histoire et de se complaire dans une posture victimaire, il faut bien avouer que l’hostilité à l’égard de cet accord, tremplin supposé pour une submersion migratoire, ne semble pas justifiée.

Les flux d’immigration clandestine existent certes, Brahim Oumansour donne un chiffre. "La population du Maghreb ne représente que 1% de la population mondiale" contre 5,6% de la population européenne. Parler, alors, de submersion migratoire est-il plausible ? Autre chiffre, avec 0,6%, la France est le pays d’Europe de l’Ouest où l’immigration est la plus faible, documente l’Institut national d’études démographiques (INED).

En Allemagne, ce seuil culmine à 1,1% d’immigration irrégulière ou légale. L’INED affirme que "les migrations jouent un rôle faible dans la croissance des populations, l’essentiel étant dû au mouvement naturel". Ironie du sort, "Alger reçoit quotidiennement plus de migrants que toute l’Europe", affirme Paolo Guiseppe Caputo, chef de mission de l’Organisation Internationale des Migrations, agence de l’Onu.

Une réalité scientifique qui éclaire davantage les débats houleux autour de cet accord de 68, censé stopper une subversion migratoire algérienne. "Finalement, les politiques agitent en vain cet accord qui depuis 1968 a été vidé de sa substance si je puis dire", explique Caputo.

Comprendre les crispations autour de cet accord de 68 revient, semble-t-il, à faire un pas de côté. Comme souvent avec la relation franco-algérienne, les clés de détente sont à trouver dans les impensés du passé. Les thuriféraires de l’extrême droite française, mais pas seulement eux, ont fait de cette question un moyen de créer le rapport de force avec Alger.

"Nous sommes dans le symbolique, principalement", analyse Brahim Oumansour. Revenir sur 68 est une façon de rejouer une énième bataille directement liée aux accords d’Evian, à la guerre d’indépendance et donc au passé colonial. L’unanimité autour du sujet côté français renseigne bien sur l’ampleur d’une blessure qui peine à se refermer. Et l’incapacité de transformer un passif en passé.

TRT Francais