Hôpital Ben Arous, Tunis (Saoussen Ben Cheikh) (Others)

Dans une économie en berne, le tourisme est aujourd'hui l'un des rares secteurs florissants. Si la Tunisie séduit chaque année des millions de visiteurs, pour son climat, ses plages ou son patrimoine culturel, elle attire aussi de plus en plus par la qualité et le coût de ses soins médicaux.

Ces “touristes” ne viennent pas des pays riches du Nord mais sont majoritairement du Sud, des pays voisins particulièrement du continent africain. Selon Houssem ben Azouz, président de la fédération interprofessionnelle du tourisme tunisien, 70% des patients étrangers viennent d'Algérie et de Libye, 15 % d'Afrique subsaharienne et 15% d'Europe. Ces derniers sont de plus en plus nombreux, avec une croissance de 10 à 15% par an. “Le tourisme médical en Tunisie, c’est plus qu’un potentiel, c’est une réalité”, assure l’expert, qui évalue la dépense moyenne d’un patient étranger à 3 000 euros.

La Tunisie : numéro 1 en Afrique ?

La Tunisie s'est imposée comme une destination de choix pour le tourisme médical, attirant des patients étrangers grâce à une combinaison gagnante de qualité des soins et de coûts compétitifs. Nadia Fenina, cadre au ministère de la Santé, souligne que “la Tunisie est numéro un en Afrique pour tout ce qui est demande de soins et offre, et ce, grâce à une centaine de cliniques privées spécialisées avec un plateau technique, et des spécialités de haut niveau, ainsi que des compétences reconnues”. Le secteur médical privé tunisien est principalement concentré à Sfax, le deuxième pôle démographique et économique du pays, ainsi qu'à Tunis, la capitale.

Les tarifs pratiqués sont nettement inférieurs à ceux des pays européens, avec des coûts de séjour médical en hôpital privé en Tunisie de 30 à 50% inférieurs à ceux d'une clinique privée en France. Par exemple, Un lifting temporal coûte environ 2500 euros contre plus de 5 000 en France. De même, les soins pour une fécondation in-vitro (FIV) coûtent environ 3000€, dix fois moins élevés qu’en Europe. Ce facteur prix, combiné à des temps d'attente réduits pour les interventions chirurgicales, rend le pays particulièrement attractif pour les patients étrangers qui viennent en Tunisie pour une large gamme de soins. Plus de la moitié des patients se rendent dans le pays pour des traitements de procréation médicalement assistée (PMA), en oncologie (chimiothérapie et hormonothérapie), cardiologie ou orthopédie. Les Européens, en revanche, viennent davantage pour la chirurgie esthétique, les soins ophtalmologiques et dentaires, ces services n’étant pas, ou très peu, pris en charge par les assurances dans leur pays. Les seniors représentent aussi un marché en pleine croissance du tourisme médical en Tunisie.

Si le tourisme médical connaît une si grande croissance, c’est en grande partie due à la détérioration des systèmes de santé des pays voisins et, plus largement, du continent africain.

Face à des infrastructures médicales souvent insuffisantes, de nombreux patients des pays voisins se tournent vers la Tunisie. Ils sont attirés par la proximité géographique et culturelle, la qualité des soins et des coûts bien inférieurs à ceux pratiqués en Europe.

Les patients maghrébins et subsahariens choisissent souvent la Tunisie pour des interventions chirurgicales spécialisées. Qu’il s’agisse de cardiologie, d’orthopédie, d’ophtalmologie, de gynécologie ou d’urologie, la Tunisie offre des soins avancés qui ne sont pas toujours disponibles dans leurs pays d’origine.

Cette tendance est particulièrement marquée en Libye, où la richesse pétrolière n’a pas été réinvestie dans les secteurs essentiels de la santé et de l'éducation. Le manque criant d'infrastructures de santé pousse ainsi les Libyens à rechercher des soins spécialisés à l'étranger.

Mohamed, un Libyen de 59 ans, illustre cette réalité. Tous les six mois, il se rend en Tunisie pour un suivi cardiologique après une opération délicate. "Ce médecin m'a sauvé la vie, je ne le changerai jamais", confie-t-il. Avec son épouse, Mohamed profite également de son séjour pour se détendre à Tabarka, au nord-ouest de la Tunisie.

Depuis les années soixante, le secteur privé de santé tunisien s’est nourri de la manne financière libyenne, créant aussi une grande dépendance et vulnérabilité. L’instabilité politique en Libye, les nombreuses fermetures de frontières, la dévaluation de la monnaie libyenne et l’appauvrissement de la population, ne sont pas sans conséquence sur le secteur privé de santé tunisien qui vacille à chaque période de tensions en Libye.

Du côté algérien, la recherche d'un meilleur rapport qualité-prix et la crise persistante dans les services publics poussent également les Algériens à rechercher une meilleure offre de soins à l’étranger. Ces dernières années, l’exode des médecins et spécialistes, qui désertent les hôpitaux algériens pour partir à l’étranger, a amplifié la crise. De nombreuses erreurs médicales dans les hôpitaux algériens, publics ou privés, amplement relayées dans les médias et réseaux sociaux, ont aussi gravement affecté la confiance des citoyens algériens dans leur système de santé.

Parmi les Algériens se tournant vers la Tunisie pour des soins médicaux, un nombre croissant de couples cherchent des traitements de procréation assistée. Ainsi le parcours de Samir et Nadia, un couple algérien de 40 et 35 ans, qui après des années de tentatives infructueuses en Algérie, sont venus en Tunisie pour des soins plus spécialisés. “Nous avons essayé pendant des années d'avoir un enfant, mais les options en Algérie étaient limitées. Les délais d'attente étaient interminables et les équipements souvent obsolètes”, explique Samir.

“Nous avons entendu parler de cliniques en Tunisie offrant des services de procréation assistée avec des taux de réussite élevés, et nous avons décidé de tenter notre chance”, ajoute-t-il.

De nombreuses agences de voyage en Algérie se sont aussi spécialisées dans le tourisme médical, proposant des séjours “all inclusive” vers la Turquie et la Tunisie. Ces offres, qui rencontrent un succès croissant, proposent des packages complets, incluant la consultation médicale, l'hospitalisation, l'hébergement, et même le transport.

Un système de santé à deux vitesses

Alors que les cliniques privées tunisiennes prospèrent et attirent des patients de toute l'Afrique et d'ailleurs, le système de santé public en Tunisie est en grande difficulté.

Les hôpitaux publics tunisiens sont confrontés à de graves problèmes structurels. Sous-équipement, exode du personnel médical, pénurie de médicaments et infrastructures délabrées sont le lot quotidien. En 2019 déjà, des incidents tragiques avaient mis en lumière les défaillances du système : la mort de 15 nourrissons dans une maternité publique ou encore l’année suivante, la chute mortelle d'un jeune médecin dans un ascenseur délabré à l’hôpital de Jendouba illustrant ainsi le mauvais état des hôpitaux tunisiens.

Les Tunisiens sont souvent confrontés à de longs délais d’attente et à une qualité de soins insuffisante. La santé se privatise. Ceux qui en ont les moyens, se tournent vers les cliniques privées, souvent inaccessibles pour les plus démunis en raison des coûts élevés.

Un rapport “Le droit à la santé au temps de la crise Covid-19” du Forum Tunisien des Droits Économiques et Sociaux (2021) met en lumière les profondes inégalités dans l'accès aux soins. Près de 2 millions de Tunisiens n'ont aucune couverture sociale pour la santé, et parmi les plus pauvres, plus de 77% n'ont pas pu consulter un médecin lorsqu'ils en avaient besoin, faute de ressources.

Selon la même source, près de la moitié des équipements médicaux du secteur de la santé publique sont en panne et ne sont pas opérationnels. Ce sous-équipement chronique du secteur public contraste fortement avec les équipements modernes déployés dans les cliniques privées.

Lors de plusieurs manifestations, des personnels de la santé ont tiré la sonnette d’alarme sur la dégradation des hôpitaux et le désengagement de l’État en matière de santé. Faute de moyens, ils quittent en masse le pays vers la France, l'Allemagne ou les États du Golfe, où ils se voient proposer de meilleures conditions de travail. “Ce ne sont plus seulement les jeunes qui partent, mais aussi les séniors”, déplorait déjà en 2020, Slim Ben Salah, président du Conseil national de l'ordre des médecins de Tunisie. Cette fuite des cerveaux est exacerbée par une gestion erratique, illustrée par l'instabilité des ministres de la santé, avec 17 changements depuis la révolution. D'autant plus que la situation est aggravée par des problèmes de gouvernance et une corruption persistante, rendant difficile la mise en place d'une politique de santé cohérente.