"Exister, c'est exister politiquement", écrivait un jour le sociologue algérien Abdelmalek Sayad. Il y a des raisons de se demander si le président, Emmanuel Macron, n’a jamais lu les écrits de Sayad, car ses cinq dernières années au pouvoir ont consisté à empêcher les musulmans français d'être des citoyens à part entière.
Pour les musulmans, l'élection d'Emmanuel Macron était censée apporter un soulagement après le quinquennat de François Hollande. Cependant, comme son prédécesseur, il s'est posé en homme providentiel protégeant la nation contre l'ennemi intérieur - les musulmans français. A tel point que son ministre de l'Intérieur a accusé Marine Le Pen d'être "trop molle, non pas sur l'islamisme mais sur l'islam".
Tout en adoptant des réformes pour démanteler l'État-providence et les protections pour des millions de travailleurs, Emmanuel Macron a affirmé - et continue d’affirmer - qu'il menait une bataille contre le soi-disant "islam politique/radical".
À quelques jours de l'élection présidentielle de 2022, les engagements politiques pousseront probablement, une fois de plus, beaucoup à s'abstenir. Le candidat d'extrême droite, Eric Zemmour, a fait irruption dans l'élection avec une plate-forme résolument anti-musulmane. Ses chances de se qualifier pour le second tour sont minces, mais ses 9% dans les sondages confirment que Marine Le Pen, à 22% dans les intentions de vote, est non seulement capable d'atteindre le second tour mais pourrait également remporter la présidence.
De peur de voir Macron réélu ou Le Pen le remplacer, les organisateurs populaires ont réussi à surmonter leurs différences pour travailler ensemble dans une campagne pour le candidat de gauche Jean Luc Mélenchon, malgré ses années à attiser le racisme anti-musulman. Le raisonnement est qu'il est le « moindre mal » et que voter pour lui est le seul moyen de vaincre l'extrême droite.
Mais on ne peut que se demander comment se fait-il que les mêmes organisateurs et militants n'aient pas pu travailler ensemble en tant que collectif au cours des cinq dernières années afin d'empêcher ce chantage tant attendu de l'extrême droite. Ils ne pouvaient pas travailler ensemble pour eux-mêmes, mais ils ont réussi à le faire pour l'homme blanc qui avait joué un rôle dans le racisme contre lequel ils étaient censés lutter.
Il est compréhensible que beaucoup aient jusqu'ici refusé ce chantage électoral. Il y a vingt ans, les gens votaient en masse pour Jacques Chirac aux élections de 2002 pour bloquer le leader historique d'extrême droite, Jean Marie Le Pen, lors du second tour. Mais à quelle fin ? Jacques Chirac a fait voter la loi contre le porte du voile musulman dans les écoles publiques et a préparé le terrain pour les vingt prochaines années d'islamophobie légale. Encore en 2017, les gens se sont précipités pour voter Macron afin de bloquer Marine Le Pen, avec les résultats que nous voyons devant nous.
Emmanuel Macron a mené une guerre contre les musulmans au cours des cinq dernières années, culminant avec la "loi anti-séparatisme" adoptée en août 2021 après un tsunami d'un an de racisme anti-musulman dans les couloirs de l’Assemblée et des médias. Aujourd'hui, le gouvernement français peut fermer n'importe quelle organisation musulmane - et l'a fait - à volonté.
L'avenir des musulmans français sera sombre au train où vont les choses. Leur capacité à s'organiser et à agir en tant que communauté a jusqu'à présent été un échec total, comme l'illustre le manque ou l’absence de résistance face à Macron lorsqu'il a fait pression pour sa loi "anti-séparatisme".
En tant que citoyens, les musulmans français appartiennent au camp de la dissidence et de la contestation en ces temps de profondes inégalités et injustices. Si la France peut se targuer de sa Révolution, d'innombrables mouvements ouvriers et de luttes acharnées des dominés contre les dominants, comme l'enseignent les livres d'histoire, pourquoi les musulmans français seraient-ils différents ?
Si les mosquées sont historiquement restées silencieuses ou ont activement collaboré avec le gouvernement réprimant les communautés musulmanes, il est peut-être temps pour elles de demander des comptes à leurs représentants et de les remplacer si nécessaire.
Macron lui-même a exprimé cette inquiétude lors de son discours sur le "séparatisme" et en annonçant que l'État français devrait intervenir dans les élections caritatives en cas de destitution des titulaires. Ainsi, il est peut-être temps pour beaucoup de redéfinir ce que signifie la foi et les valeurs autour desquelles l'identité musulmane française est construite. Soumission à celui qui est au pouvoir ? Conformisme à l'idéologie dominante ou libération ? Dogmatisme ou esprit critique ?
Mais cette absence d'action et de mobilisation contre ce projet de loi qui viole littéralement la liberté de réunion, la liberté d'expression et la liberté de religion va au-delà des musulmans et atteint la société française dans son ensemble.
La société française au sens large du terme a soutenu l'état d'urgence 2015-2017, voire sa pérennisation. Moins de cinq ans plus tard, la population majoritairement non musulmane de France ne se sentait pas concernée par la loi anti-séparatisme censée réprimer les musulmans.
Pourtant, les mesures mêmes qui ne causaient que peu d'inquiétude alors que le gouvernement ciblait les Noirs, les Arabes, les musulmans et les habitants des banlieues sont maintenant utilisées contre les organisations blanches, les organisateurs et potentiellement toute voix dissidente.
Ce constat soulève, à son tour, des questions fondamentales non seulement pour les musulmans français mais pour tous les Français. La démocratie ne consiste-t-elle qu'à voter pour des représentants tous les cinq ans ? Et que signifie même voter, si cela sert à légitimer un système qui n'offre pas de choix mais pousse plutôt les masses à "choisir" le moindre mal perçu à ce moment précis ?
L'avenir nous dira si la "victoire quasi-totale" de l'extrême droite devient réalité, comme le prétend Marine Le Pen, ou si nous assistons aux convulsions d'un ordre moribond devenu si convaincu de sa quasi-disparition qu'il lui faut assurer sa mainmise sur le pouvoir par des lois toujours plus répressives, rendues acceptables par des minorités boucs émissaires.
Macron a été qualifié de "président des riches" pour sa politique néolibérale et son mépris total pour la classe ouvrière. Pourtant, s'il a réussi à travailler pour les couches les plus aisées de la société française, il a aussi fait de son mieux pour plaire à ses plus réactionnaires.
Par conséquent, s'il a passé les cinq dernières années à travailler pour quelques-uns, il devait diviser la majorité. Ces derniers n'auront qu'eux-mêmes à plaindre s'ils continuent de tomber dans la même farce. L'islamophobie n'a enrichi personne ; elle n'a fait que détourner le débat indispensable sur la légitimité d'un homme qui a été élu alors que la majorité s'est abstenue, et qui essaie de le refaire maintenant. Dupez moi une fois…
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