Forfait, à ce jour, pour la coupe du monde, le Ballon d’or 2022 révèle un creux dans le rapport que certains médias et politiques entretiennent avec le joueur franco-algérien, figure métaphorique d’une France de la marge. Le récipiendaire du "Ballon d’or du peuple", lui, n’est plus à la marge mais n’est pas inclus pour autant. C’est ce que l’effervescence médiatique autour de lui révèle.
Alors que la flamboyante EDF est assurée de rejoindre les huitièmes de finale de la compétition, le cas Benzema continue de créer des remous. A l'insu de son plein gré, devrait-on dire. Dans un article daté du 26 novembre, L’Équipe, titre du panthéon de la presse sportive française, révélait que "depuis le départ de Karim Benzema, le groupe des Bleus est plus libéré". Du collectif, seule une voix s’est élevée pour démentir les affirmations du journal, celle d’Aurélien Tchouaméni, coéquipier de K. Benzema. "C’est totalement faux parce que même quand il était là ça se passait déjà très bien. On a tous été peinés par ces différents forfaits", a-t-il déclaré au micro de RMC, dimanche soir.
Un démenti qui n’empêche pas les révélations supposées du journal de se répandent comme une traînée de poudre. Cœur battant du débat politique, les réseaux sociaux se sont accaparés le cas Benzema. Les uns pour le défendre, les autres pour le conspuer. Car, le concernant, il y a bien un postulat de départ. Si son retour annoncé en équipe de France, le 18 mai 2021, avait suscité un engouement assez unanime, les réactions abondant dans le sens des propos relayés par L’Équipe laissent penser que le nœud autour de la star madrilène résiste. Le choix des termes choisis par L’Équipe est univoque. Si les Bleus se sentent "libérés", c’est, donc, que Karim Benzema les aurait contraints voire asphyxiés ? Abdelkrim Branine, journaliste et auteur du Petit sultan (Ed. Zellije), une fiction autour du ballon rond, ne cache pas son scepticisme concernant l’article de L’Équipe. "Comme pour l’affaire Anelka en 2010, on sait que l’enquête a l’air légère et fondée sur des rumeurs". En journalisme, on le sait, les bruits de couloirs ne font pas l’article. "Certains, et un joueur en particulier, dans l’équipe ne supportent pas le statut de Benzema, ni son ballon d’or. Ils alimentent, alors, les journalistes en racontars", n’hésite pas à pointer le journaliste. Benzema, une expérience française D’autant que Karim Benzema, icône internationale du football, a un passif en France. Dans son cas, tout commence par un achèvement. Son rêve bleu prend fin en 2015. Impliqué dans une affaire de chantage à la sextape, il n’est "plus sélectionnable" en équipe de France, juge Noël Le Grat, patron de la fédération française de football. Si le joueur "accepte" la décision et renouvelle "sa confiance" au président, l’affaire prend rapidement un tour politique. Didier Deschamps, lui, ne veut plus en entendre parler. Le sélectionneur s'arc-boute sur sa décision et ne le rappelle pas pour l’Euro 2016. Le 1er juin 2016, K. Benzema donne le coup de grâce avec un interview d’anthologie. Dans les colonnes de Marca, magazine espagnol, l’attaquant attribue son exclusion de l’EDF au contexte politique auquel D. Deschamps se serait soumis. Il a "cédé sous la pression d’une partie de la France", pense-t-il. La main du politique La déclaration provoque une déflagration qui retentit jusque dans la sphère politique. Nicolas Sarkozy, ancien président de la République, y verra une marque du "communautarisme", fruit du laxisme de François Hollande, alors à la tête de l'État. L’année précédente, le Front national culminait à 6 millions d’électeurs lors des élections régionales.
Sous la présidence de F. Hollande, son Premier ministre, Manuel Valls s’est montré intransigeant vis-à-vis de Karim Benzema. Selon le Journal du dimanche (JDD), Le Graët avait bien promis l’Euro 2016 au joueur du Réal. Une promesse dissipée sous les pressions du Premier ministre de l’époque, n’hésitant pas à s’immiscer dans les affaires de la FFF. Une intervention hérétique du politique dans des affaires sportives. Rappelons qu’en 2015, la fédération koweïtienne de football avait été suspendue par la Fifa. L’ingérence du gouvernement dans la gestion de la fédération locale n’était pas passée auprès de l’instance mondiale.
Dénonçant son manque "d’exemplarité", Manuel Valls avait essuyé une réponse incisive de K. Benzema sur Twitter. Même aujourd’hui, les statistiques parlent d’elles-mêmes. Avec plus de 830 matchs et 18 ans de carrière, le Madrilène n’a jamais reçu aucun carton rouge. S’il a été condamné, fin 2021, à un an de sursis pour complicité de tentative de chantage, le joueur semble avoir pêché sur un point propre à de nombreux joueurs : l’incapacité à se départir d’entourage pas toujours fréquentable, note Abdelkrim Branine. Méta-Benzema Erreur de jeunesse ou non, l’attaquant s’est illustré ces dernières années par une exigence sportive et mentale qui l’a mené tout droit au sacre du ballon d’or. Reste que la séquence au Qatar illustre la drôle de relation qu’une certaine frange de la presse entretient avec K. Benzema. Une relation chaotique, rugueuse que le Franco-algérien a, aussi, nourri. Par son irrévérence. Son interview de 2016 dans Marca est même qualifiée de "suicide médiatique" dans la presse nationale.
De son côté, l’opinion publique française s’est forgée une image contrefaite voire mythologique du Madrilène. "Étrangement, Benzema est régulièrement associé au désastre de Knysna (Afrique du Sud). Les Bleus avaient fait une grève-comme en 1978 avec Platini -mais, en 2010, Benzema n’était pas sélectionné à la Coupe du monde!"
Et si l’on voulait pousser l’analyse au-delà des terrains de football, il faudrait s’interroger ce que signifie pour un profil comme K. Benzema, issu des quartiers populaires, de porter le maillot des Bleus. A bien des égards, le natif de Bron dans la banlieue lyonnaise est devenu "une figure méta qui raconte davantage un moment de notre histoire et de la société française", analyse A. Branine. Car derrière le regard revêche souvent porté sur Benzema -pas besoin de lire les commentaires de l’extrême-droite sur les réseaux sociaux le concernant- se joue un nœud, celui du rapport de la France non seulement à la diversité -terme euphémistique pour ne pas nommer les Maghrébins- en haut de l’échelle sociale. Ce millionnaire n’est plus seulement ce gamin à qui l’on demande de jouer au ballon, de marquer des buts. Il est fortuné et -outrecuidance suprême- peu porté sur la culture au sens élitiste du terme.
Depuis, les interrogations concernant le joueur vont bon train. D’aucuns se demandent, dans le cas d’une victoire des Bleus en finale, si le ballon d’or sera aussi champion du monde. D’autres évacuent toutes possibilités de retour. Des supputations aux allures de catharsis médiatique. Sur le plateau de L’Équipe TV, Johan Micoud, ancien Bleu, s’agaçait, d’ailleurs, du traitement (médiatique) réservé au joueur de classe mondiale : "On a cette petite musique qui fait dire que tout le monde serait heureux en équipe de France" sans Benzema. "On est bien en France". Le pays où le génie de Benzema fait de l’ombre à ceux qu’il est censé éclairer.
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