France: Yaël Braun-Pivet réélue présidente de l’Assemblée nationale / Photo: AFP (AFP)

L’élection des six vice-présidents et du bureau de l’Assemblée a donné lieu à des scènes ubuesques dans l’hémicycle, vendredi. Cette élection dans cette enceinte d’habitude si policée avait des allures de classe dissipée en voyage scolaire. Un vote a dû être annulé car un “petit malin” avait bourré une urne. Il y avait plus d’enveloppes que de votants. Il a donc fallu recommencer à zéro. On est dans le même registre que le chifoumi d’un élu pour éviter de serrer la main à la secrétaire de séance du RN, jeudi, lors de l’élection de la présidente de l’Assemblée.

Le Rassemblement national a été écarté des vice-présidences alors qu’il comptait deux vice-présidents dans la précédente législature. Il s’en est offusqué et a parlé de “scandale démocratique”. La France insoumise a obtenu deux vice-présidences. La journée s’est donc terminée un peu comme la journée de jeudi après l’élection de Yaël Braun-Pivet (Renaissance) à la présidence alors que son bloc n’est pas le plus important dans la nouvelle Assemblée. La députée des Yvelines a été élue avec les voix des Républicains. La gauche a parlé de “déni de démocratie” et de “magouilles”.

Le nouveau jeu parlementaire, le jeu des coalitions

Emeric Bréhier, directeur de l'Observatoire de la vie politique de la Fondation Jean-Jaurès tempère. “Ce n’est pas un déni de démocratie. Dans une démocratie parlementaire, ce qui vaut rapport de force, c’est ce qui se passe au parlement. Ici vous avez une coalition minoritaire (Ensemble, Horizons, MoDem) qui a su sceller une alliance parlementaire. En face, le Nouveau Front populaire (PS, LFI, PC, les Écologistes) n’ont pas su trouver des alliances. On ne vit rien de plus que ce que nos voisins vivent. En Espagne, le PSO gouverne mais il n’a pas gagné les élections et ça ne gêne personne”. On peut citer d’autres exemples. En Suisse, le gouvernement est composé de conseillers fédéraux des différents partis présents au Conseil national. En Allemagne, en Belgique, les partis négocient un accord de gouvernement après les élections et la règle est que chacun abandonne une partie de son programme pour trouver un socle commun.

Le politologue poursuit en faisant ses calculs. 70 députés ont été élus au premier tour. 500 au second tour dont 400 avec le front républicain. “Ces députés ont été élus avec des voix de gauche alors qu’ils sont Renaissance, ou Horizons, certains socialistes ont été élus avec des voix de droite. Qu’est-ce-que ça veut dire? Ça veut dire qu’aucun de 400 députés n’a été élu sur leur programme mais pour faire barrage au RN. Ça c’est une réalité politique et sociologique. Si j’étais taquin, je dirai que les députés du RN (143) sont élus sur leur programme alors que les autres l’ont été grâce à un arc républicain. ”Le problème, ajoute-t-il, c’est que cette dynamique particulière ne correspond pas à la dynamique parlementaire en France. En d’autres termes, les choix stratégiques faits par les partis politiques avant le vote pour bloquer le RN ne continuent pas dans l’Assemblée, et les camps se divisent”.

400 députés doivent leur élection au front républicain

Est-ce à dire que le NFP s’est disqualifié pour présenter un candidat pour le poste de Premier ministre ? Le politologue répond en citant la constitution. L’article 8 indique que c’est le président de la République qui désigne le Premier ministre, c’est un pouvoir discrétionnaire, qu’il ne partage pas.

Emmanuel Macron a répété plusieurs fois qu’il attendait de voir comment les choses se profilaient à l’Assemblée pour se décider. “C’est à lui maintenant de décider si l’élection de Yaël Braun-Pivet induit l’existence d’une majorité, fut-elle extrêmement faible, qui puisse se transformer en majorité gouvernementale. Mon sentiment, c’est qu’il pense que c’est jouable”.”

En face, le Nouveau Front populaire a passé dix jours et dix nuits à essayer de se mettre d’accord avec des portes qui claquent, des petites phrases assassines, des candidats présentés unilatéralement et tout aussi vite écartés par les autres partis de la coalition. Dix jours de perdus qui, aujourd’hui, vont peser lourd dans la balance. “Ils ont laissé le manche au président de la République,” conclut Emeric Bréhier.

Le RN va imposer son jeu

Le politologue s’attend à ce que l’apprentissage du nouveau jeu parlementaire, lié à cette configuration politique, va être long et difficile. Ce qui ressort tout de même, c’est une Assemblée à deux vitesses. D’un côté, un parti qui a gagné les élections même s' il n’a pas de majorité absolue. A lui seul, il représente 35% des votes exprimés et 11 millions de votes ; le Rassemblement national est passé de 89 députés à 143. De l’autre, des blocs avec des partis qui sont divisés ou qui ont perdu des sièges. Renaissance a perdu 80 députés. “On peut s’attendre que cette force du RN finisse par structurer la vie politique soit en pour ou en contre.”

L’analyse est simple, soit les thèmes du RN vont s’imposer aux autres, soit les partis du centre, la macronie, les socialistes, les Républicains, créent un arc républicain assez large pour garder la maîtrise des débats parlementaires.

Concrètement, cela signifierait l’éclatement du Nouveau Front populaire car La France insoumise est jugée trop extrême par le centre et la droite. Cela voudrait surtout dire que la classe politique française aurait tiré les leçons des dernières élections, c’est-à-dire, qu’il faut travailler ensemble.

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