Il n’existe qu’un seul 8 mai 1945, celui qui marque la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie. Ministère de la Défense, de la Jeunesse, de la Culture, de l’Éducation ou de la Justice. Office des Anciens combattants. Faites-en la recherche. La date du 8 mai 1945 est l’objet d’une déclinaison de contenus, tournée, uniquement, vers la Libération, la victoire des Alliés sur l’Allemagne d’Hitler. Une valorisation nécessaire et salvatrice tant l’Histoire se caractérise, aussi, par une mécanique bien huilée, celle de la répétition. Une glorification qui fait jaillir, à force de silence (et c’est un paradoxe !) la face refoulée du 8 mai 1945.
Bousculée (médiatiquement), il y a une vingtaine d'années par des minorités, non pas agissantes, mais concernées, l’Histoire officielle du 8 mai 1945 n’en finit pas de creuser le fossé entre ce que la République fut et ce qu’elle prétend être.
En 2005, des minorités, à cheval sur une Histoire elliptique et bancale s'approprient ou se réapproprient la mémoire, et la date. Certes, un article de l’historien Mohamed Harbi, fin connaisseur du sujet, paru dans le Monde diplomatique en 2005. Intitulé "La Guerre d’Algérie a commencé à Sétif", le spécialiste retrace la genèse politique de l’événement sanglant, considéré comme “le traumatisme qui radicalisera irréversiblement le mouvement national”. Le texte apporte une assise scientifique et académique à l’événement, justifiant son évocation.
C’est la juste exhumation d’une Histoire refoulée par les instances dirigeantes, celle des massacres de Sétif, Guelma et Kherrata, le 8 mai 1945. Ce jour-là, un drapeau algérien émerge à côté de celui de la France. Aux “Vive la victoire alliée” lancé par la foule, succède un autre slogan : “Vive l’Algérie indépendante”. Le sous-préfet ordonne de censurer ces messages. Mais un étudiant, Bouzid Sâal, 22 ans, défie les autorités, refusant de baisser le drapeau algérien. Un policier tire et le tue, déclenchant une répression qui fait 45 000 morts à Sétif et Guelma, selon les autorités algériennes, entre 15 000 et 20 000 tués, selon un bilan revu par des historiens occidentaux. Côté européen, une centaine de morts, d’après Benjamin Stora. Au-delà des chiffres, Sétif constitue, d’après de nombreux historiens, la première étape de la lutte armée algérienne.
Une histoire par le bas longtemps méconnue des Français issus de l’immigration algérienne. Dans les familles, le silence des pères, des mères est aussi pesant que politique. De multiples récits littéraires ou politiques ont montré l’absence de transmission de cette histoire encombrante et chargée de fantômes que les aïeux évitent de transmettre à leur progéniture. A ce titre, l’article du Monde diplomatique est salvateur tant il explique, rigoureusement, les faits historiques.
En réalité, il a déjà été devancé. En janvier 2005, un appel, celui des Indigènes de la République, interpelle l’État français sur son passé colonial et la façon dont il “gangrènerait les esprits.” Le texte fait du bruit et achève de situer, d’emblée, les Indigènes sur une ligne extrémiste voire victimaire. Par-dessus tout, le texte ouvre une espèce de boîte de Pandore mémorielle, celle du 8 mai 1945 côté Sétif. Les auteurs de la tribune appellent à une marche pour les 60 ans de la répression.
Depuis, les enfants de cette histoire célèbrent la date, religieusement, si l’on peut dire. La même année, la mort de Zyed et Bouna dans un transformateur électrique à Clichy-sous-Bois, adolescents apeurés poursuivis par la police, donne un écho supplémentaire à l’appel. Des révoltes éclatent dans de nombreux quartiers populaires de France. Douze nuits d’émeutes poussent Dominique de Villepin, alors Premier ministre, à décréter des couvre-feux dans les cités, s’appuyant sur une loi de 1955 votée lors de la Guerre d’Algérie… Une décision interprétée, alors, comme la jonction de cette histoire coloniale avec celle des Français issus de l’immigration. Idée centrale de l’Appel des Indigènes.
Près de 20 ans après la résurgence de cette histoire par le bas, où en est-on ? Si l’ambassadeur de France en Algérie, Hubert Colin de Verdière, reconnaît dès le 27 janvier 2005 la responsabilité de la France dans ce massacre, le sujet est-il soldé pour autant ?
Pour le savoir, il faut regarder cette mémoire et cette Histoire dans son ensemble. Dans un communiqué de presse publié le 7 mai à l’occasion du 79e du massacre du 8 mai 1945, les autorités algériennes parlent de la mémoire comme “d’un dossier inaliénable et imprescriptible” qui ne peut faire l’objet “d’aucune concession.” Un texte implacable contre la “France coloniale”.
L’épithète est importante tant elle fait la distinction entre l’empire et l’état actuel. Si l’Algérie et son président Tebboune sont souvent accusés d’agiter l’antienne victimaire par ce simple rappel des faits, tâchons de ne pas éluder le fond du problème. “L’amnésie mémorielle” est dévastatrice. Continuons de parler des deux 8 mai 1945. On ne raconte pas l’Histoire sans les faits.
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