Les élections législatives organisées dimanche en Tunisie ont connu un taux d’abstention record. Deux ans après l’interruption de toutes les activités parlementaires, sur décision du président Kaïs Saïed, le pays organise des élections législatives qualifiées de “fantoches” par une grande majorité.
Aux deux tours, les Tunisiens ont massivement boudé ces échéances électorales. Un taux de participation de 11.4 % a été enregistré au deuxième tour des élections contre 8.8% au premier tour.
Le président Saïed ne le voit pas de cet œil. Dans une vidéo diffusée au lendemain des élections, il a préféré jeter l’opprobre sur le Parlement.
“Il faut interpréter ce taux différemment. 90 % n’ont pas voté parce que le Parlement ne représente rien pour eux”, a affirmé Kaïs Saïed.
Un nouveau camouflet pour le président
Les initiateurs de la “révolution du jasmin” ont clairement choisi cette fois-ci de ne pas se rendre aux urnes, une façon d’exprimer leur mécontentement et leur opposition aux pratiques de leur président.
“Les Tunisiens se sont abstenus de voter pour s’opposer à un processus politique mené unilatéralement par le président”, a confié Hamza Meddeb, analyste au Carnegie Middle East Center à TRT français.
En décembre 2021, le président Saïed avait purement et simplement dissous le Parlement, huit mois après l’avoir suspendu.
Il s’est également arrogé les pleins pouvoirs, à l’issue d’un référendum organisé le 24 juillet dernier, mettant à rude épreuve les aspirations démocratiques de millions de Tunisiens.
Mr. Meddeb considère que le faible taux de participation aux élections "confirme l’échec du président Saïed à mobiliser les Tunisiens" autour de son projet politique, mais également à "répondre aux revendications du peuple".
“Le parlement sera sans réelles prérogatives lui permettant de contrôler l’exécutif. Il sera un relais du président et non un contre-pouvoir”, a commenté M. Meddeb.
Le département d'État américain a, de son côté, appelé mercredi la Tunisie à élargir l’inclusion démocratique.
L’adjoint du porte-parole du département d'État Vedant Patel a déclaré à la presse que “le faible taux de participation reflète la nécessité impérieuse pour le gouvernement de s’engager dans une voie plus inclusive”.
Les signaux d'alerte
Les prémices de l’année 2023 ne semblent pas être de bon augure pour la Tunisie, en proie déjà à une crise économique et sociale aiguë. En plus des pénuries de produits de base et la hausse de leurs prix du fait d’une inflation galopante, le pays attend toujours l’appui du Fonds monétaire international (FMI).
Pour cet expert du dossier tunisien, le pays est empêtré dans une crise financière et sociale amplifiée par l’absence de perspectives économiques.
Meddeb estime que sans le prêt tant attendu du FMI, la Tunisie risque “une situation catastrophique, une faillite de l'État et un désastre social”.
Le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Marouane El Abassi a lui-même souligné dans des déclarations à la presse la nécessité de parvenir à un accord avec le FMI pour pouvoir relancer la croissance.
La Tunisie, qui a vu sa dette exploser ces dernières années, a conclu mi-octobre dernier un accord de principe avec le FMI pour un prêt de 1.7 milliard d’euros. Mais, l’institution qui a exigé des réformes structurelles en échange, n’a pas pour l’heure débloqué cette aide.
Le FMI a reporté l’examen final du dossier, initialement prévu en décembre, pour accorder plus de temps au gouvernement de Saïed de finaliser son programme de réformes.
Ces réformes demandées feront l’objet de conflit entre les classes moyennes, le président et son parlement, risquant ainsi de faire échouer le programme du FMI, a mis en garde Mr. Meddeb.
Il a poursuivi que le programme du FMI risque également d’approfondir la tension qui marque les relations actuelles entre le président et les syndicats, précisément l’UGTT, étant donné que les dossiers sur lesquels sont censés porter les réformes risquent d’affaiblir le syndicat historique du pays.
Le climat social est certes loin d’être apaisé, mais l’expert du dossier tunisien au Carnegie Middle East Centre minimise les chances d’un autre soulèvement similaire à celui de 2011.
“Il se peut que la rue bouge massivement. On ne peut pas insulter l’avenir. Mais, on voit une fatigue gagner la population. Elle a de bonnes raisons de se rebeller et elle ne le fait pas”, a affirmé Meddeb à TRT Français.
Il a noté que la moitié de la population tunisienne est aujourd’hui désenchantée et veut s’assurer que l’alternative est à la hauteur de ses espoirs.
Ceci explique, d’après Mr. Meddeb, les niveaux élevés des flux migratoires enregistrés durant l’année 2022.
D’un ton pessimiste, l’expert a conclu que la Tunisie nage dans l’incertitude et que le président mène le pays dans une aventure dont l’issue ne dépend que de lui.