En marge du conseil Européen à Bruxelles, l'Espagne, Malte, l’Irlande et la Slovénie se sont dit jeudi, dans une déclaration commune, " prêts à faire les premiers pas ", pour reconnaître l’État de Palestine " seul moyen de parvenir à une paix durable et à la stabilité dans la région ", selon Pedro Sanchez.
Durant le sommet, les dirigeants européens ont appelé, pour la première fois, à l’unanimité, à un cessez-le-feu, réclamé la mise en place de corridors terrestres supplémentaires pour acheminer les aides vers Gaza et exhorté le gouvernement Netanyahou de ne pas mettre à exécution son projet d’offensive sur Rafah.
" Des conclusions fortes, après plusieurs mois de silence ", a souligné le leader Espagnol. En effet, depuis l’automne 2023, contrairement à ses voisins, le président du gouvernement Espagnol navigue à contre-courant.
Et pour cause, l’Espagne est l’un des rares pays de l’Union Européenne à avoir maintenu son appui financier en faveur de la Palestine. Au début du mois, Madrid a annoncé une aide de 20 millions d’euros supplémentaires à l’UNRWA, alors que 18 États de l’Union des 27 avaient décidé de suspendre cette subvention, quelques semaines plus tôt.
D’ailleurs, depuis le 7 octobre 2023, le leader socialiste, a dénoncé, à de nombreuses reprises, les agissements d’Israël et critiqué le gouvernement Netanyahou. Des critiques qui ont conduit à une crise diplomatique entre Madrid et Tel Aviv, en novembre dernier.
Stop à la vente d’armes !
Si en Espagne la majorité politique se range du côté de la paix et appelle à un cessez-le-feu, la droite et l’extrême droite espagnole ont clairement marqué leur position. Au parlement, depuis plusieurs mois, ces formations politiques font blocus aux propositions des formations de gauche. C’est notamment le cas de Podemos, gauche radicale espagnole qui milite, entre autres, pour un cessez-le-feu immédiat et pour l’embargo sur la vente d’équipements militaires à Israël.
Ainsi, Nicolas Sguiglia, conseiller municipal à la mairie de Malaga représentant Podemos et membre de la direction andalouse du parti, explique à TRT Français que le gouvernement espagnol adopte une position "contraire aux actions militaires menées par l’État d’Israël". Pourtant, selon lui, le discours du pouvoir exécutif est, pour le moins, équivoque. Et pour cause, Jose Manuel Albares, ministre espagnol des Affaires étrangères, avait annoncé la suspension de la vente d’armes à Israël depuis le 7 octobre. Des faits non avérés, selon plusieurs médias espagnols qui ont signalé des recettes d’au moins un million d’euros sur des exportations d’armes vers Israël, ces derniers mois.
Des opérations "totalement contradictoires", selon Nicolas Sguiglia, après le soutien financier octroyé à l’UNRWA pour venir en aide aux habitants de Gaza.
Son parti a ainsi soumis, devant le parlement, une proposition non législative pour mettre fin à l’achat, la vente et la livraison d’armes entre l’Espagne et Israël. Une proposition approuvée par la majorité de l’arc politique mais qui reste "symbolique".
"Il est inacceptable qu’un État démocratique, dans le contexte actuel, puisse justifier l’achat et la vente d’armement avec un État qui utilise directement ces armes pour bombarder des hôpitaux, les bâtiments des Nations Unies, les écoles, assassiner des garçons et des filles", s’indigne le membre de la direction andalouse de Podemos.
Depuis plusieurs mois, le parti d’extrême gauche continue de faire pression sur le gouvernement Espagnol. Cette stratégie a certes porté ses fruits, car selon Nicolas Sguiglia, Podemos a " réussi à accentuer le niveau de critique du gouvernement espagnol à l'égard des actions brutales menées par l'État d'Israël ", mais, le parti n’a pas obtenu le soutien du pouvoir exécutif, quant à la majorité de ses revendications.
"Ce que nous souhaitons du gouvernement espagnol, c’est la rupture de tous types de relations, commerciales, politiques, diplomatiques avec l’État d’Israël, tant qu’un cessez-le-feu n’est pas déclaré. {…} Nous demandons également au gouvernement espagnol qu’il apporte son soutien à la demande du gouvernement sud-africain, devant la cour pénale internationale, pour que les actions de l’État d’Israël soient considérées comme un génocide ", soutient Nicolas Sguiglia.
Divisions internes sur la question palestinienne
En Espagne, les désaccords au sein du parlement reflètent les tensions et divisions au niveau des différentes circonscriptions. C’est notamment le cas à la mairie de Malaga, dirigée par Francisco de la Torre Prados, membre du Parti Populaire. Face à la question palestinienne, Nicolas Sguiglia et ses collègues du bureau local de Podemos dénoncent d’ailleurs un discours à géométrie variable.
"La mairie de Malaga a hissé un drapeau de l'Ukraine lorsque le conflit entre la Russie et l’Ukraine a éclaté, en signe de solidarité symbolique avec le peuple ukrainien {…}. Et bien sûr, quand il y a eu cette situation terrible en Palestine, nous avons proposé à la Mairie de Malaga, comme pour l'Ukraine, que l’on hisse le drapeau palestinien, pour montrer notre solidarité avec le peuple palestinien {…} Malheureusement, le Parti Populaire a refusé de hisser le drapeau palestinien et c'est pourquoi, en guise d'exercice de solidarité et de symbole de nos convictions, nous avons, nous même, déployé un drapeau géant sur la façade de l'Hôtel de Ville de Malaga. "
Un soutien ancré historiquement
Aujourd’hui, en Espagne, l’opinion publique et politique apporte, en majorité, son soutien à la cause palestinienne. Une position qui ne date pas d’hier et serait, notamment, liée à la proximité historique du pays avec le monde arabe.
Selon Antonio Basallote, professeur d’études arabes et islamiques à l’université de Séville, spécialiste de la question palestinienne, " le discours favorable à la défense de la question palestinienne, doit convaincre l'opinion publique espagnole, mais il y a aussi un facteur externe, qui est d'essayer de gagner de l'influence au Moyen-Orient. En Europe, l'Espagne a une tradition de relations de confiance avec le monde arabe. Dans l'imaginaire collectif arabe et musulman en général, l'Espagne est perçue comme l'ancienne Al-Andalus. C'est un pays à l'histoire multireligieuse et multiculturelle. De même, l'Espagne est bien considérée dans le monde arabe, dans la mesure où elle n'a pas joué un rôle de colonisateur comme la France."
Après sa réélection en novembre dernier, pour un mandat de quatre ans, Pedro Sanchez avait annoncé, dès son investiture, comme premier engagement à l’international, que son nouveau gouvernement allait " travailler en Espagne et en Europe pour la reconnaissance d’un État palestinien. "
Dans l’UE, le pays qui entretient des relations diplomatiques avec Israël depuis 38 ans, fait presque cavalier seul. Antonio Basallote explique à TRT Français notamment ces prises de positions par un manque "d'avantages, en termes de politique étrangère, pour les pays qui soutiennent les Palestiniens”. Et d’ajouter qu'"il n’y a pas de ressources énergétiques qui suscitent l’intérêt de la communauté internationale, comme cela s’est produit par exemple en Irak ou en Syrie". Par ailleurs, ces dernières années, la montée de la droite et de l’extrême droite en Espagne " reflète un changement de tendance sur la question palestinienne dans la politique espagnole. “
Le professeur universitaire indique d’ailleurs qu’" avant la seconde intifada, la question palestinienne était soutenue transversalement par la majorité absolue de tous les partis politiques espagnols. Depuis la seconde intifada en septembre 2000, la droite s’est un peu plus alignée à Israël. Concrètement, le gouvernement d’Ariel Sharon a su créer, à partir de 2002, un lien entre les actions des branches armées issues de la résistance palestinienne, dont des attentats suicides, avec l’attentat terroriste des tours jumelles du 11 septembre à New York. Ce discours a gagné des partisans dans l’opinion publique israélienne mais également aux États-Unis et dans l'Union européenne. En parallèle il y a eu une augmentation du discours islamophobe dans le monde entier ".
Aujourd’hui, à l’internationale, l’Espagne apparaît comme un réel soutien et allié de la Palestine. En effet, au-delà du volet politique, d’après une étude réalisée par le média Eldiario.es plus de 60% des Espagnols condamnent l’offensive d’Israël sur Gaza et appellent à un cessez-le-feu. Des manifestations sont organisées dans tout le pays, chaque semaine, pour maintenir la pression sur le gouvernement et réclamer ,l’arrêt, de manière définitive, de la vente et de la livraison d’armements à Israël.