Inquiétude dans le secteur touristique, vigilance des investisseurs étrangers: après le report des élections sénégalaises par le président Macky Sall et la mort de trois manifestants, les milieux économiques surveillent la situation dans ce pays longtemps réputé pour sa stabilité et son économie solide.
Le tourisme déjà affecté?
Le tourisme, qui est avec le pétrole une des pierres angulaires du plan de développement économique du pays, souffre déjà.
"Nous avons effectivement observé un nombre important d'annulations de touristes suite à la crise actuelle. Les réservations d'hôtels ont été particulièrement touchées", affirme Pape Berenger Ngom, président de l'association des professionnels de l'hôtellerie et de la restauration.
Les recherches pour les vols internationaux vers le pays ont diminué de 17% lors de la semaine du 2 au 8 février par rapport à la semaine précédente, note aussi la société spécialisée dans les données aériennes ForwardKeys.
Le tourisme représentait 10% du PIB et 9% des emplois dans le pays avant la pandémie, d'après les dernières données de la Banque mondiale.
La France représente un gros contingent de voyageurs, et les vacances scolaires qui ont démarré lundi auront valeur de "test", souligne Dominique Fruchter, économiste pour Coface.
"Je ne me sens pas d'y aller dans ce contexte, ce n'est pas stable du tout", témoigne auprès de l'AFP Sarah, une Française de 31 ans qui n'a pas souhaité donner son patronyme et devait voyager en avril dans le pays. Elle envisage de repousser son billet.
Le Club Med affichait en revanche toujours lundi 98% de remplissage dans son club en Casamance, et dit n'avoir pas imposé de restrictions sur les excursions.
Les multinationales inquiètes?
"La perception positive du Sénégal auprès des investisseurs locaux et étrangers sera grandement affectée au regard du risque pays élevé que cette situation va engendrer", s'est inquiétée jeudi la Confédération Nationale des Employeurs du Sénégal (CNES).
Le Sénégal abrite de nombreuses entreprises multinationales comme Nestlé, Philip Morris, TotalEnergies, Société Générale...
"Certains employés sont plus inquiets que d'autres", confie à l'AFP un chef d'entreprise installé à Dakar et préférant rester anonyme. Il n'y a "pas eu de demande de départs" de collaborateurs expatriés mais "le climat risque d'être très difficile" dans les prochains jours.
Les autorités sénégalaises ont interdit une marche de protestation à laquelle des représentants de la société civile appelaient mardi après-midi.
Deux projets impliquant des multinationales sont emblématiques du virage sénégalais vers les hydrocarbures, un secteur censé soutenir de plus en plus sa croissance: le champ gazier offshore Grand Tortue, porté par la major pétrolière britannique BP, et le champ gazier et pétrolier Sangomar, opéré par l'australien Woodside.
Ce dernier "reste dans les délais", a assuré Woodside à l'AFP: les premières extractions de pétrole auront lieu "mi-2024".
Également sollicité, BP n'a pas voulu faire de commentaires. Pas plus que DP World, groupe de Dubaï qui construit un port en eau profonde à Ndayane, près de la capitale, ni le turc Aksa, qui fabrique une centrale électrique au gaz au nord du pays.
Au-delà des investissements déjà engagés, les projets futurs pourraient être victimes des troubles: "quand une entreprise décide d'un investissement, elle aura peut-être envie de le reporter quand elle lit ce qu'elle lit", s'inquiète Etienne Giros, président du Conseil français des investisseurs en Afrique, une nationalité très représentée dans la communauté d'affaires du pays.
L'aide internationale menacée?
Les bailleurs internationaux peuvent-ils couper les vivres au Sénégal si le conflit s'aggrave ? Trop tôt pour le dire, répondent plusieurs experts. Mais la question se pose sur un continent ayant connu huit coups d'Etat depuis 2020 et le tarissement des aides internationales pour certains pays, à l'instar du Niger et du Burkina Faso.
Avec 1,8 milliard de dollars versés en 2022 selon l'OCDE, le Sénégal figure parmi les pays du continent qui reçoivent le plus de soutiens financiers. Le Fonds monétaire international a encore validé en mai un programme d'aide de 1,8 milliard de dollars en échange de réformes, étalé sur trois ans.
Interrogé par l'AFP, le FMI dit qu'il "surveille activement la situation" mais n'a pas fait de commentaire sur les versements futurs à la lumière des derniers événements.
Des sanctions représenteraient néanmoins une surprise dans ce pays souvent montré en exemple, qui est "un des chouchous des organismes financiers multilatéraux et de développement, un pays solide institutionnellement avec des perspectives économiques favorables", souligne Dominique Fruchter.
La croissance est attendue par le FMI à 8,8% cette année, plus du double de celle estimée pour 2023.