Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher ont revêtu leurs habits de “négociateurs-psychologues”. Les deux hauts personnages de l’État veulent essayer de remettre toutes les composantes politiques de la Nouvelle-Calédonie autour d’une table pour négocier une sortie de crise, et trouver le chemin “d’un rêve partagé” pour “conjuguer deux rêves”, à savoir le maintien dans la République et celui de l’indépendance.
La formule est belle, elle est celle de Gérard Larcher mais les émeutes qui ont commencé le 13 mai dernier ont, non seulement, détruit de nombreux bâtiments et sociétés mais elles ont, surtout, détruit tout dialogue entre les tenants d’une Calédonie kanak indépendante et les tenants d’une Calédonie française.
De plus, l’État français a laissé le sentiment de privilégier le camp “loyaliste” ces dernières années avec la présidence d’Emmanuel Macron.
Le gouvernement a décidé en début d’année d’ouvrir le corps électoral calédonien aux résidents de plus de 10 ans sur l’île, malgré l’opposition des partis kanaks qui y voyaient une manière d’affaiblir le vote kanak.
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“Trois jours de visite pour écouter”
Voilà donc nos deux élus parisiens au contact de la réalité calédonienne. Après une première journée marathon de rencontres avec les officiels et la cérémonie du 11 novembre, cette mission de dialogue et de concertation rentre dans le vif du sujet avec une "séance de travail" au Congrès toute la matinée puis des rencontres avec les habitants de Nouméa et Mont-Dore, une ville sans liaison avec la capitale calédonienne à cause de tensions persistantes avec la tribu kanak de Saint-Louis pendant plusieurs mois.
Devant le Congrès (assemblée régionale calédonienne), Gérard Larcher reconnaît la responsabilité de Paris dans les tensions qui ont secoué l’île. “Le 13 mai donne le sentiment d’un terrible retour en arrière. Nous n’avons pas réussi à empêcher une telle catastrophe par nos décisions. Chacun des politiques a failli, nous portons une responsabilité collective et je n’exonère pas l'État des siennes. Le temps calédonien ne peut pas se définir dans les bureaux parisiens“, affirme le président du Sénat en appelant les Calédoniens à retrouver le dialogue. ”D’un mal doit sortir un bien”, dit-il.
L’apaisement et le soutien économique
Après le passage en force, Emmanuel Macron joue l’apaisement. Il a fallu trois semaines d’émeutes, plus de deux milliards de dégâts et 13 morts pour qu’il change de ton.
Le président a enterré la réforme du corps électoral, les élections régionales ont été repoussées à novembre 2025, cette décision a été entérinée par un vote des députés la semaine dernière.
Cette visite est un nouveau geste d’apaisement de la part de Paris, c’est la première fois que les présidents de l’Assemblée et du Sénat viennent sur le Caillou. Le Haut-commissariat calédonien a insisté sur ce point. “C’est pour vous dire l’intérêt que porte la nation aux problèmes de la Nouvelle-Calédonie et son avenir”, a appuyé Richard Poindo, le responsable des affaires coutumières.
Les deux élus sont donc là aussi pour une opération séduction. Gérard Larcher, tout sourire, sert des mains et tape sur les épaules. Même le président de la province nord semble revenu à de meilleurs sentiments envers Paris et le nouveau député Emmanuel Tjibaou se félicite du changement de ton : “On a entendu conjuguer le “nous”, que j’ai défendu pendant la campagne (...). Le fait que les deux présidents de chambres viennent à la rencontre de l’exécutif et du président Néaoutyine, c’est vraiment la marque d’une phase que l’on est en train de construire”.
L’apaisement, le dialogue pour définir ensemble l'avenir, c'est peu ou prou le discours tenu par les deux élus, mais les questions des élus locaux concerneront aussi l’économie. L’archipel est au bord du gouffre financier, les institutions régionales connaissent de graves difficultés économiques. En août dernier, l’assemblée régionale a demandé une aide de 4,2 milliards d’euros à la France.
Les trois semaines d’émeutes ont plombé l’économie locale mais la crise est profonde notamment avec la crise mondiale du nickel qui a entraîné la fermeture temporaire ou définitive de deux usines locales d’extraction.
Début octobre, l'Institut de la statistique et des études économiques (ISEE) publiait une étude, depuis le commencement des émeutes en mai 2024, plus de 6 000 emplois du privé ont été perdus, 29% des salariés du privé touchent le chômage partiel en Nouvelle-Calédonie.