Par Jean David MIHAMLE
L’ultimatum de la CEDEAO adressé aux putschistes nigériens, qui ont pris le pouvoir par la force le 26 juillet dernier, pour rétablir la légalité constitutionnelle et libérer le président Bazoum a expiré ce dimanche.
Les militaires en question demeurent inflexibles. Ils ont décidé de fermer l’espace aérien et se disent prêts à défendre "l’intégrité et l’honneur de la patrie".
Ces derniers jours, plusieurs manifestations de soutien en faveur du coup de force ont eu lieu dans tout le pays.
À Niamey, des comités de "veille citoyenne" sillonnent les principaux axes de la capitale.
La perspective d’une intervention militaire est pour le moment confrontée à de nombreux défis.
Nigeria, une opinion publique divisée
Au Nigeria, pays phare dans la mobilisation contre le coup de force, la classe politique et l’opinion publique sont divisées.
Le soutien du Sénat n’est pas encore acquis. Vendredi dernier, des sénateurs du nord du pays ont conseillé au président Tinubu de privilégier la diplomatie et les négociations.
"Les victimes seront des citoyens innocents qui vaquent à leurs occupations", d’après un communiqué des sénateurs du nord signé de leur porte-parole, Souleymane Kawu. Le Nigeria et le Niger partagent une longue frontière de 1500 kilomètres. Et de part et d'autre de cette ligne de démarcation, l’on retrouve les mêmes tribus et souvent les mêmes familles.
Lire aussi: Coup d’Etat au Niger: Jusqu'où ira la Cédéao?
Déjà confronté à la gestion de la crise engendrée dans le nord-ouest par l’insurrection terroriste de Boko Haram avec la question des déplacés internes, Abuja risque de faire face à un flux de milliers de nouveaux réfugiés.
La CUPP (Coalition of United Political Parties), principal regroupement de l’opposition, parle d’une initiative non seulement inutile, mais aussi irresponsable.
Contrairement à la France, partisane d'une réaction musclée, l'Allemagne, l'Italie, les Etats-Unis et l'ONU sont favorables à la poursuite du dialogue, alors que les chefs d'État de la CEDEAO se réunissent de nouveau à Abuja ce jeudi.
La cohésion de la CEDEAO en question
Pour le diplomate et auteur camerounais Paul Batibonak, la crise engendrée par la situation au Niger met en lumière l'écart entre les aspirations des peuples africains et les agissements de leurs dirigeants.
"Est-ce que l'on doit aller à l'encontre de la volonté de ceux qu'on est censé servir. Ne trahit-on pas la démocratie lorsqu'on se met l'opinion publique à dos pour servir des intérêts extra-continentaux ?” s’est interrogé Batibonak, soulignant que les opinions publiques africaines sont favorables à une solution négociée."
"Est-ce que l'on doit aller à l'encontre de la volonté de ceux qu'on est censé servir. Ne trahit-on pas la démocratie lorsqu'on se met l'opinion publique à dos pour servir des intérêts extra-continentaux ?”
En Afrique de l’Ouest même, la situation au Niger met à mal la cohésion de la CEDEAO. Le Mali et le Burkina Faso, des pays dirigés aussi par des militaires, ont menacé de quitter l’organisation sous-régionale. Une délégation du Burkina Faso et du Mali s'est rendue lundi à Niamey "pour témoigner de la solidarité des deux pays au Niger", a annoncé l’armée malienne sur son compte Twitter.
"Il y a comme une communauté de destin entre la Guinée, le Mali et le Burkina. Le Niger s'y ajoute. (...) Ils sont prêts à en découdre avec l'organisation sous-régionale, relève le politologue béninois Romaric Badoussi." En ce qui concerne le reste des États membres, poursuit-il, "on sait qu'il y a divergence de vues. Des pays comme le Togo et le Libéria sont réticents quant à une intervention militaire."
Risque de fragilisation de l'UA
Quid alors de la cohésion de l'Union africaine? Romaric Badoussi relativise. Il prend l'exemple du Tchad où le président actuel (Mahamat Idriss Deby) "a succédé à son père par la force sans conséquence particulière sur l'Union africaine qui risque de discuter avec les militaires, en cas de radicalisation pour accompagner une nouvelle transition dans le pays."
De surcroît, le président de l’Union africaine, le chef de l’Etat comorien Azali Assoumani vient d’être déclaré persona non grata au Mali et au Burkina Faso, alors qu’il devrait évaluer dès le 14 août prochain le processus de retour à l'ordre constitutionnel dans ces deux pays.
"L'Union africaine et la CEDEAO risquent de donner l'impression d'organisations fragiles, incapables de faire respecter leurs décisions par les Etats membres", s'inquiète le politologue.
Pour sa part, l'Algérie qui partage une frontière de 951 kilomètres, a rejeté toute ingérence militaire.
"Nous refusons catégoriquement toute intervention militaire, a déclaré le président algérien Abdelmadjid Tebboune avertissant qu'une intervention militaire au Niger serait une menace directe pour l'Algérie".
Pour le diplomate Paul Batibonak, l'Algérie qui mobilise déjà des troupes à sa frontière avec le Niger pour éviter toute contagion, "ne fait que défendre ses intérêts dans cette région réputée pour la circulation des armes".