Le Maroc était et est toujours un couloir de migration. C’est un pays qui voit une partie de ses ressortissants migrer, mais c’est aussi un pays de transit pour les populations sub-sahariennes qui veulent migrer. Selon Enass, le média des sans voix au Maroc, en 2021, 41 979 migrants sont arrivés depuis le Maroc en Espagne (Source: Enass, le média des sans voix au Maroc, article du 9 janvier 2023). La moitié était des Marocains, le reste de ces personnes provenaient de l'Algérie, du Mali, de la Guinée et de la Côte d’Ivoire. La voie Atlantique via les Îles Canaries est la voie privilégiée aujourd'hui.
L’Union européenne attend du Maroc qu’il s’aligne sur les autres pays du Maghreb qui ont signé des partenariats mais le royaume sourcille notamment au sujet des réadmissions.
L’Union européenne durcit sa politique migratoire. Les 27 disposent enfin d’un texte commun qui organise la fermeture des frontières et le “triage” des candidats à l’asile ou à la migration économique.
A partir de 2026, les migrants seront filtrés aux frontières c'est-à-dire l’Espagne, la Grèce et l’Italie pour la Méditerranée. Ils devront avoir une réponse en 5 jours avec prise d’empreinte, et fiche d’identité.
Ceux qui demandent l’asile seront gardés dans des centres de rétention le temps de recevoir une réponse à leur candidature. D’autres seront “retournés” vers les pays tiers si leur dossier est rejeté.
Le Maroc, un couloir de migration
Pour le Maroc, un de ces pays tiers, pas question d’accepter le rapatriement des migrants du sub-sahara. Medhi Alioua, de l’université internationale de Rabat (UIR) et doyen de l’Institut d’études politiques explique les réticences du Maroc. “Le royaume ne veut pas se faire imposer quelque chose, il ne veut pas devenir un pays de renvoi, et surtout pas de non-Marocains, au prétexte qu’ils ont transité par le Maroc.”
Ursula von der Leyen, la présidente de la commission européenne espérait dupliquer l’accord signé avec la Tunisie en juillet 2023.
L’accord prévoit une somme de 250 millions d’euros payée par l’Union européenne pour lutter contre l’immigration irrégulière, moderniser les bateaux des garde-côtes tunisiens, et soutenir la coopération avec l’Office international pour les migrations. Cet accord prévoit également une aide au développement de 150 millions en 2023.
“L’accord de la honte”, pour certains à Tunis
Vous l’aurez compris, l’UE demande à la Tunisie de contrôler les flux de migrants contre de l’argent. Tunis accepte sur son sol un espace de traitement des migrants irréguliers et devra se charger de leurs renvois vers leur pays d’origine. La Tunisie le faisait pour l’Italie, cette fois, elle s’engage à le faire pour tous les membres de l’UE. Dès sa signature, l’accord a été critiqué à Tunis, certains parlent d’humiliation et de honte.
Dans ce contexte, le Maroc a des réticences à signer un accord avec les 27 pays membres de l’UE. “Il coopère avec l’Espagne par exemple mais l’avis du Maroc, c’est que signer avec un immense ensemble comme l’UE, c’est déséquilibré,” ajoute Mehdi Alioua.
Un accord avec la Tunisie à 250 millions d‘euros
Mustapha Sehimi, universitaire marocain, professeur de droit et politologue développe en ajoutant que “le Maroc n’acceptera pas d’accord de réadmission, c’est une question de dignité.” En d’autres termes, le Maroc ne veut pas réadmettre les sub-sahariens et gérer leurs retours vers leurs pays d’origine. Rabat réadmet, en revanche, les migrants marocains quand leur nationalité est avérée. “ le Maroc essaie d’obtenir le meilleur accord possible avec l’Union européenne mais le royaume est déjà l’un des pays qui réadmet le plus de migrants, 20 000 par an environ” selon Mehdi Alioua.
Le politologue estime que son pays est pris dans les rets de la crise politique que vit l’Europe. “l’Union européenne vit une crise des frontières, et pas une crise migratoire.” En 2023, 1,2 million de personnes ont demandé l’asile en entrant dans l’Union européenne (source Eurostat). L’Europe n’est pas envahie, selon lui, puis le bloc européen compte 450 millions d’habitants. Les 27 veulent fermer les frontières pour répondre à une montée du populisme et des idées d’extrême droite, pourrait-on ajouter.
L’UE rêve de dupliquer le partenariat avec la Tunisie
Pour le Maroc, c’est aussi l’occasion de régler des dossiers en suspens, et de négocier sur la base du donnant-donnant. La reconnaissance de sa souveraineté sur le Sahara occidental en fait partie, mais aussi la question des accords de pêche et agricole qui avaient été annulés en première instance par la justice européenne en 2021 à la demande du Polisario. La Cour de justice de l’Union européenne devrait rendre sa décision finale en juin prochain.
Certes, aucun accord n’est signé aujourd’hui mais le Maroc touche une aide européenne pour la surveillance de ses frontières. Par exemple, les radars qui surveillent les côtes, l’équipement et la formation des forces auxiliaires dédiées au contrôle des migrants ont été financés par l’UE. Cette aide est intégrée à des lignes budgétaires qui couvrent plusieurs domaines, donc impossible à chiffrer avec précision. Rabat aurait touché 200 millions d’euros ces dernières années, soufflent plusieurs sources.
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En septembre 2022, Khalid Zerouali, le directeur de l’immigration et de la surveillance des frontières au ministère de l'Intérieur marocain, confiait à l’agence espagnole EFE que l’aide de 500 millions d’euros proposée pour 7 ans au Maroc ne couvrait pas les frais d’intervention engagés chaque année par le royaume. Selon lui, les dépenses annuelles atteignent 427 millions d’euros.
À ce jour, l’Union européenne a signé 18 accords avec des pays tiers pour gérer les flux migratoires.
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