“La mort dans le désert”, c’est l’intitulé d’un rapport publié vendredi par le HCR et l’OIM. Il s’agit du deuxième rapport réalisé par ces organisations sur la situation des migrants dans la zone subsaharienne. Les statistiques sont quasi impossibles à établir, mais les interviews réalisées avec 31 000 migrants dressent un tableau assez précis de la situation. “Les routes qui traversent le Sahara vers le nord depuis l’Afrique de l’Ouest et de l’Est seraient deux fois plus meurtrières que la route maritime de la Méditerranée centrale, mieux documentée”, dit le rapport.
Au cours de la période 2021-2024 (jusqu’en mai), 1.031 réfugiés et migrants sont morts en traversant le désert, dont plus de 40 % à la suite d’accidents de la route, près de 25 % en raison de conditions environnementales difficiles, notamment l’exposition, la déshydratation et la famine, et 12 % en raison de violences.
La mort invisible
Les 31 000 témoignages se recoupent et les journaux locaux font état chaque jour de la découverte de ces corps anonymes. “On apprend hier la mort de 14 Syriens entre l’Algérie et la Libye. Le mois dernier, en juin, on a retrouvé 65 corps au sud-ouest de la Libye, entre le Soudan et l’Égypte. Il y a des morts chaque jour. Voilà une infime partie de ce décompte macabre, mais personne ne collecte les faits divers dans tous les pays concernés donc une vision globale est difficile”, explique Vincent Cochetel, envoyé spécial du Haut Commissariat aux réfugiés pour la Méditerranée occidentale à TRT Français.
“Cependant, sur 100 personnes interviewées, un quart dit avoir vu une personne mourir dans le désert. Soit elle était blessée et on l’a abandonnée, soit elle a été battue à mort, soit elle est malade“, ajoute-t-il.
“Que tu vives ou que tu meurs, tout le monde s’en fout”
Le conflit soudanais qui fait rage depuis un an rend forcément la traversée du pays très difficile, mais sont également dangereuses les routes de la traversée du Mali ou le passage par le Burkina Faso. Les témoins énumèrent les zones particulièrement à risque comme Sabha en Libye, Agadez au Niger et Tamanrasset en Algérie, Tripoli en Libye, Khartoum au Soudan et Bamako au Mali. Un des témoins interrogés résume ainsi ce qui se passe sur ces routes migratoires: “Que tu vives ou que tu meurs, tout le monde s’en fout”.
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Dans certains endroits, des groupes armés opèrent illégalement. Des milices ou bandes criminelles n’hésitent pas à enlever des migrants, à pratiquer des vols d’organes, ou à réduire ces hommes et ces femmes à l’esclavage. Parfois, la violence est le fait des forces de sécurité du pays, car ces personnes entrent illégalement dans l'État concerné, indique le rapport.
“Une impunité généralisée règne. Parfois ce sont des groupes locaux, comme des milices qui rackettent les migrants, parfois ce sont des entreprises transnationales qui travaillent sur les pays de la zone. Ils sont identifiés mais il y a peu ou pas de poursuites. Une enquête est ouverte pour un cas sur 10 rapporté, selon un rapport de l’ONU sur la traite humaine“, regrette Vincent Cochetel.
L’Union européenne délègue le renvoi des migrants vers le désert
Dans l’attente de l’application de son pacte Asile et migration en 2026, l’Union européenne a signé des partenariats avec des pays comme la Tunisie ou la Libye et cette stratégie qui veut dissuader les migrants entraîne des expulsions vers les zones désertiques. Une enquête menée par plusieurs médias internationaux et “Lighthouse report” analyse comment les financements européens contribuent aux refoulements des personnes en mobilité en Afrique du Nord vers le désert (Tunisie, Maroc, Mauritanie).
Début mai 2024, le président Kaïs Saïed a reconnu pour la première fois des expulsions collectives de la part des autorités tunisiennes, précisant que ”400 personnes” ont été renvoyées vers “la frontière orientale” en coordination avec les pays voisins.
Les organisations internationales à l’origine du rapport appellent à des réponses de protection concrètes, basées sur les itinéraires empruntés, afin de sauver des vies. L’aide humanitaire est très limitée sur ces routes, l’accès aux centres de rétention pas toujours facile, le HCR et l’OIM demandent donc un effort financier de ses partenaires pour fournir de meilleurs services et soins aux migrants.
“Le HCR et l’OIM sont présents dans tous les pays concernés, mais souvent nous ne pouvons avoir accès aux zones les plus dangereuses où les migrants auraient besoin d’aide et de soins”, explique l’envoyé spécial du Haut Commissariat aux réfugiés pour la Méditerranée occidentale.
Selon Vincent Cochetel, 21% des personnes interviewées à Lampedusa, en Italie, assurent qu’elles auraient entrepris ce voyage malgré tout ce qu’elles ont enduré.
“On doit proposer des alternatives aux 79% restants, avant leur départ, ou sur leur chemin vers l’Afrique du Nord. Par exemple, une aide au retour, un accès à la justice. Notre priorité aujourd’hui, c’est de travailler au plus près des zones à risques, avec des organisations religieuses, des ONG locales qui peuvent gérer par exemple les premiers secours”, a-t-il affirmé.
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L’envoyé spécial a prôné pour une solution qui requiert la coopération des pays africains concernés et sans aucun doute l’investissement des pays européens qui sont in fine la destination rêvée de ces migrants.