Les clivages qui traversent l’Europe sur la question palestinienne étaient le secret le moins bien gardé du monde, et le voilà qui éclate au grand jour. Le chef de la diplomatie irlandaise, Micheál Martin, en avait fait l’expérience en janvier dernier déjà lorsqu’il avait tenté, le temps d’un dîner à Bruxelles, de créer un groupe de contacts pour faire avancer l’idée de création d’un État palestinien auprès des décideurs européens. Des semaines d’entretiens et de navette diplomatique auraient uniquement servi à mettre en évidence le hiatus qui sépare désormais l’Europe ancrée à ses sacro-saints rapports avec Israël, encore sous le traumatisme de la deuxième guerre mondiale et une nouvelle génération de chefs de gouvernement progressistes, jeunes et qui ne sont liés qu’à leur liberté de conscience.
Dans le premier camp figure en tête, évidemment, l’Allemagne plombée par son legs historique. Mais aussi, curieusement, la France dont la diplomatie n’a pas su saisir l’opportunité pour être à la hauteur de sa réputation de puissance de médiation dans les crises du Moyen-Orient.
Le Haut représentant de l'UE, Josep Borrell, appelle de ses vœux à la gestation d’une position commune entre les États membres, mais il est peu probable qu’il atteigne un consensus. L’exemple le plus saillant en est l’Allemagne qui ne veut rien entendre. Il est vrai que le géant économique s’était résolu, depuis la guerre russo-ukrainienne, à ne plus rester un nain diplomatique. Mais, il semble que le conflit israélo-palestinien n’est pas couvert par cette nouvelle tendance du chancelier Olaf Scholz. Berlin tient à ce que chaque pays européen adopte souverainement sa propre position.
"Ce n’est pas le moment"
Pourtant, c’était Paris qui avait commencé en premier à tâter le terrain européen pour évaluer l’état de préparation à la reconnaissance en bloc de la Palestine. L’Union européenne aurait pu reprendre, de la sorte, les rênes de l’initiative et s’imposer, de nouveau, comme puissance crédible et moins biaisée que Washington.
Mais lorsque Madrid, Oslo et Dublin, frustrés par la torpeur européenne, ont préféré aller de l’avant dans la reconnaissance officielle de l’État de Palestine, le chef de la diplomatie française, Stéphane Séjourné, a rétorqué que ce sujet n’était "pas un tabou" sauf que ce n'était "pas le bon", reprenant ainsi une formule d’Emmanuel Macron.
Paris considère que les conditions ne sont pas réunies "à ce jour pour que cette décision ait un impact réel" sur le processus visant la solution à deux États, a déclaré Séjourné à l’Agence France Presse.
La Belgique rejoint la France sur cet aspect particulier de la question, mais avec une attitude moins nuancée. Si la coalition au pouvoir guidée par le libéral Alexander De Croo a adopté un verbe clair depuis le début de la guerre à Gaza, allant jusqu’à offrir son expertise en jurisprudence dans l’action intentée par l’Afrique du Sud contre Israël devant la CIJ, elle n’en considère pas moins la reconnaissance de la Palestine comme une carte lourde qu’il faudrait jouer prudemment.
Il ne s’agit donc, du point de vue de Bruxelles, que d’un déphasage de calendriers dû à la nature même du conflit. "Cela semble prématuré pour le moment, étant donné que l'Autorité palestinienne est fondamentalement une entité non étatique et que les pourparlers avec les pays voisins et les États-Unis n'en sont qu'à leurs débuts", souligne un fonctionnaire européen cité par le Financial Times. Autrement, la ministre belge des Affaires étrangères n’était-elle pas la première à affirmer, début mai, que son pays soutiendrait l'entrée de la Palestine aux Nations unies comme membre à part entière ?
C’est le cas aussi de Malte qui a récemment exprimé, par le biais du porte-parole de son gouvernement, sa volonté de reconnaître la Palestine, mais "lorsque cette reconnaissance pourra apporter une contribution positive et lorsque les circonstances seront propices".
"À cet égard, le gouvernement surveille les développements au Moyen-Orient pour déterminer les délais optimaux pour cette importante décision dès que possible", a-t-il déclaré au Times of Malta.
Une mosaïque européenne
Des membres moins influents préfèrent "tenir le bâton par le milieu" en attendant d’y voir plus clair. Interrogé, le président lituanien, Gitanas Nausėda, se montre diplomate : "Nous constatons que les deux parties ne sont pas encore prêtes pour cette solution".
Faut-il rappeler aussi que bien avant l’annonce par la Norvège, l'Irlande et l'Espagne de leur reconnaissance de la Palestine en tant qu'État, huit autres pays européens avaient fait de même : la Bulgarie, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie, la Hongrie, la Suède et l'administration chypriote grecque.
L’Europe offre donc un spectacle en mosaïque lorsqu’il s’agit de la reconnaissance de la Palestine en tant qu’État, et cela n’est pas prêt de changer semble-t-il. Josep Borrell a confirmé qu'il "prenait note" des déclarations de reconnaissance et qu'il "travaillerait sans relâche avec tous les États membres pour promouvoir une position commune de l'UE fondée sur une solution à deux États".
Les euro-enthousiastes les plus optimistes ne perçoivent aucune perspective de décision collective à ce propos, surtout à l'approche des élections européennes.
Sur la scène internationale, il ne reste plus qu'une quarantaine de pays qui ne reconnaissent pas officiellement l'État palestinien. Parmi eux, les États-Unis, le Canada, le Japon, l'Australie et la majorité des pays de l'Union européenne.