Invité par le Comité Palestine Zurich, il arrive vendredi dans la ville suisse et passe la journée en vrai touriste : il achète du chocolat, se balade au bord du lac et déguste une raclette. Le lendemain, il doit donner sa conférence au lieu alternatif “La laverie centrale” à Zurich.
Tout aurait dû se passer sans encombre, s’il n’y avait pas eu l’intervention d’un élu cantonal (régional) de Zurich. Mario Fehr, chef de la sécurité dans le canton interpelle la police sur la présence, selon lui, d’un “islamiste pro-Hamas”. L’homme est influent et un pro-sioniste notoire, ex-socialiste, il est surnommé “le shérif zurichois”. Il alerte les autorités fédérales et se confie à la NZZ (Neue Zürcher Zeitung), le journal de droite très influent en suisse alémanique. "Nous ne voulons pas d'un islamiste antisémite qui appelle à la violence en Suisse," explique-t-il.
Sans avoir commis aucune infraction, le journaliste palestino-américain est arrêté en pleine rue, menotté et emmené au poste de police sans trop savoir ce qu’on lui reproche. Lors de son interrogatoire, les policiers l’informent qu’il est interdit de séjour en Suisse à cause de la situation à Gaza, sa présence peut “engendrer un risque de radicalisation”.
Une arrestation musclée en pleine rue
Depuis les États-Unis, il a dénoncé, ces 15 derniers mois, sans relâche, la rhétorique israélienne, la guerre génocidaire, le blocus sur l’aide humanitaire, les frappes sans distinction sur les civils, les destructions d'hôpitaux, les tortures faites aux prisonniers. Habitué des plateaux de télévision, il est devenu une voix qui dérange.
Dans une vidéo qu’il a postée après son retour chez lui, il raconte son arrestation en Suisse : “Les policiers m’ont expliqué que normalement, il y a une audience avant qu’une interdiction de territoire ne soit prise sauf si le danger est immédiat”, et apparemment tel est le cas ici. L'interdiction d'entrée a été émise par le Fedpol, l'office fédéral de police, suite à une demande des autorités zurichoises. Ali Abunimah va passer deux jours en prison et sera expulsé le lundi.
La Suisse va-t-elle dorénavant faire taire les voix pro-palestiniennes ?
Comment en Suisse, Ali Abunimah n'a-t-il pas eu la possibilité de donner sa conférence ? Il a suffi des accusations d’un “homme politique” et d’une “association sioniste” pour que l’homme soit arrêté, emprisonné comme un criminel.
Rania Madi n’en revient toujours pas. Cette avocate palestinienne basée à Genève est tout simplement en colère. Consultante juridique pour les Nations unies et pour l’Union européenne, elle a défendu des dossiers palestiniens devant la Cour pénale internationale et elle n’aurait jamais cru une telle chose possible en Suisse.
Dans une interview accordée à TRT Français, Rania Madi insiste sur le fait que depuis quinze mois les manifestations pour Gaza, et les festivals pour la Palestine, les débats ont tous eu lieu sans encombre. Rima Hassan a même donné une conférence à Genève vendredi dernier.
Cet événement est, pour elle, un mauvais signal. Ce vendredi soir, elle est appelée par des militants juste après l’arrestation d’Abu Nimah, et déjà à ce moment-là elle relève des éléments incohérents. La police cantonale annonce que le journaliste palestinien est frappé d’une interdiction d’entrer sur le territoire helvétique mais cela aurait dû signalé avant son voyage, rappelle-t-elle. Et surtout lors de son arrivée à l’aéroport de Zurich, il est entré sans encombre en Suisse.
L’expulsion d’Abunimah était-elle légale ?
Rania Madi balaie d’un geste l’argument avancé du danger sur la sécurité publique, considérant la situation à Gaza. Pour elle, il s’agit juste de faire taire les voix palestiniennes et c’est grave, conclut-elle. “Je vous promets, je ne vais pas laisser passer cette affaire, c’est la honte pour la Suisse”.
Selon l’avocate spécialisée en droit international, la situation a changé en Suisse depuis l’arrivée au Conseil fédéral en 2017 d’Ignazio Cassis, ministre des Affaires étrangères du parti radical qui ne cache pas son alignement sur la politique d’Israël.
En 2018, après une visite en Jordanie, il avait déclaré que tant que les Palestiniens resteraient dans des camps de réfugiés, ils rêveraient de rentrer chez eux. Reprenant le discours et les arguments israéliens, il avait déclaré, l’UNRWA ”est devenue une partie du problème, en soutenant l’UNRWA, nous maintenons le conflit en vie. C’est une logique perverse”.
Rania Madi le rend responsable d’un lent glissement politique vis-à-vis des Palestiniens. “Beaucoup de choses ont changé depuis son arrivée au gouvernement. La Suisse est en train de perdre beaucoup de principes et c’est dommage. Je le dis, Cassis complice (du génocide à Gaza) !” déclare-t-elle.
Elle promet de s’activer pour que la Confédération présente des excuses et invite le journaliste pour faire sa conférence à Zurich.
La Suisse n’a pas reconnu l’État de Palestine, le Conseil national suisse (assemblée nationale) a décidé de ne plus du tout soutenir l’Unrwa en décembre dernier, l’agence d’aide aux réfugiés palestiniens.