Alors que les chancelleries du monde dit “libre” détournent le regard du génocide en cours à Gaza, la répression des militants pro-palestiniens s’intensifie. En témoignent les récentes mobilisations en Allemagne qui ont été brutalement réprimées par les autorités, provoquant l’indignation de nombreux observateurs politiques du pays.
Sous prétexte de combattre l’antisémitisme, l’interdiction et la répression quasi-systématique des marches en soutien à la Palestine révèlent, en réalité, une remise en cause progressive de l’Etat de droit et de la liberté d’expression. Une tendance lourde dont l’impact sur les droits civiques est inquiétant.
Omar Shakir, directeur pour Israël et la Palestine à Human Rights Watch estime que “la criminalisation des manifestations pro-palestiniennes témoigne d’une confusion entre critique légitime de la politique israélienne et antisémitisme, ce qui restreint dangereusement la liberté d’expression”. Un confusionnisme qui tend volontairement à marginaliser les voix critiques et à alimenter les tensions plutôt que de les apaiser, selon lui.
Interrogé par TRT Français, le politologue franco-libanais Ziad Majed, professeur associé à l’université Américaine de Paris, resitue, quant à lui, cette tendance dans une perspective plus longue. “Il y a dans le cas allemand un aspect exceptionnel s'agissant de la Palestine et de tout ce qui met en lumière la politique criminelle d'occupation et d'apartheid d'Israël envers les Palestiniens”. Le chercheur considère que cela s’explique par tout ce qui renvoie au passé nazi de ce pays.
“Il y a une volonté à tout prix d'éviter un débat sur ce sujet, parce qu'il y a un aveuglement s'agissant d'Israël, qui va en parallèle avec la culpabilité par rapport au passé nazi. Les autorités allemandes ne tolèrent pas des mobilisations qui montrent les crimes d’Israël et qui pointent du doigt le génocide aujourd'hui en cours”, dit-il.
Ziad Majed rappelle également que l'Allemagne est l'un des rares Etats qui a décidé d'intervenir au niveau de la Cour internationale de Justice pour soutenir Israël face à l'Afrique du Sud, qui l'accuse de commettre un génocide à Gaza.
En France, le soutien à la Palestine crispe également les autorités qui n’hésitent pas à actionner le levier judiciaire pour faire taire certaines voix militantes.
Le gouvernement a, en effet, pris des mesures drastiques pour interdire les manifestations pro-palestiniennes, en invoquant des raisons de sécurité. Depuis le début de la guerre israélienne sur Gaza en octobre 2023, le ministre de l’Intérieur démissionnaire, Gérald Darmanin, a ainsi ordonné plusieurs interdictions de rassemblements pro-palestiniens, justifiant ces décisions par un risque élevé de troubles à l’ordre public. Mais davantage que la répression policière, c’est le harcèlement judiciaire que subissent les soutiens à la population de Gaza qui soulève des questions en France.
Convoqué par la police et gardé à vue suite à une plainte de l’Organisation juive européenne (OJE) pour apologie du terrorisme suite à un commentaire sur X en soutien au peuple palestinien, le politologue François Burgat, spécialiste de l’Islam et du monde arabe, dénonce cette violation des libertés fondamentales.
“En France, la répression des manifestations pro-palestiniennes révèle une dérive autoritaire qui va à l’encontre des principes démocratiques. Elle empêche tout débat public constructif sur la question palestinienne, en stigmatisant ceux qui osent critiquer Israël”, affirme le politologue.
"Volonté claire de museler toute critique"
Un militant français de BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions) a également subi une interpellation et une garde à vue en raison de son soutien à la Palestine. Il a accepté de relater à TRT Français les circonstances de son arrestation.
“Le dernier jour des Jeux olympiques, lors de la course féminine, nous étions environ une vingtaine de personnes réunies pour soutenir les athlètes palestiniens, sachant qu'une délégation palestinienne participait aux Jeux. Nous avions des drapeaux avec nous, mais pas seulement palestiniens, certains portaient également des maillots aux couleurs de la Palestine”, raconte le militant.
L’activiste resitue le contexte et le déroulé de l’arrestation. “L'objectif de l'opération était précisément de promouvoir la visibilité du drapeau palestinien. Les journalistes se trouvaient juste en face de nous et des CRS étaient déployés tout autour. Nous avons pris position près des barrières. Quand les coureuses sont passées, on a scandé, on les a supportées et puis on a brandi les drapeaux. Et c’est à ce moment que les CRS ont commencé à nous nasser puis à effectuer des contrôles d'identité sans aucune raison valable”, poursuit-il.
Le militant a finalement été arrêté et gardé à vue dans le commissariat du 13eme arrondissement de Paris pour manifestation non-autorisée. Son téléphone a été confisqué et fouillé sans son aval. Après plusieurs heures d’interrogatoire, il a été déféré au tribunal de Paris où il a passé la nuit dans une cellule. Il a, le lendemain, été présenté devant le magistrat qui lui a adressé un rappel à la loi accompagné d’une amende de 500 euros, tout en lui précisant qu’en cas de récidive, il sera condamné à six mois de prison assortis de 7 000 euros d’amende.
Les militants pro-palestiniens en France dénoncent en effet une répression systématique et ciblée des autorités. “La France criminalise la solidarité avec le peuple palestinien sous couvert de lutte contre le terrorisme et l’antisémitisme”, déclare à TRT Français Youssef Boussoumah, historien et membre du Parti des Indigènes de la République.
“Cette répression montre une volonté claire de museler toute critique de la politique israélienne et de dissuader les mouvements de solidarité”, ajoute-t-il.
Une affirmation que nuance le politologue Ziad Majed qui replace le traitement des militants pour la cause palestinienne en France dans un cadre répressif plus global.
“On a vu auparavant des violences policières à la fois contre les gilets jaunes ou après le meurtre du jeune Nahel ou encore dans des sit-ins pour des questions écologiques. Il y a de plus en plus de réponses musclées à des mobilisations sociales. Il y a moins de tolérance pour la diversité politique que l’on voit se développer depuis quelques années, de manière générale”, assure Majed.
Le professeur de l’université Américaine de Paris reconnaît toutefois qu’il y a un deux poids deux mesures dans le traitement des mobilisations en soutien à la population de Gaza et à l’armée israélienne.
“Quand on compare comment la police ou les autorités politiques et sécuritaires traitent des manifestations pro-israéliennes ou pro-palestiniennes, on peut objectivement s’interroger. Il faut qu'il y ait la même politique et rien ne justifie les deux poids, deux mesures”, souligne-t-il.
Au Royaume-Uni, les manifestations pro-palestiniennes ont également été confrontées à des restrictions, bien que la situation varie selon les villes et les contextes. À Londres, les autorités ont permis plusieurs grandes manifestations, mais celles-ci ont souvent été lourdement surveillées par la police, avec des arrestations effectuées pour des motifs, parfois, jugés arbitraires. La loi sur la police, la criminalité, les peines et les tribunaux de 2022, adoptée par le gouvernement conservateur britannique, a renforcé les pouvoirs de la police, rendant plus facile la dispersion des manifestations.
Le politologue David Wearing, spécialiste du Moyen-Orient et du Royaume-Uni, a souligné que “la réponse des autorités britanniques aux manifestations pro-palestiniennes illustre un équilibre précaire entre le maintien de l’ordre public et la protection des droits de protestation. Cependant, l’application disproportionnée des lois anti-manifestations crée un climat de peur parmi les militants”, regrette-t-il.
La répression des manifestations pro-palestiniennes en France et en Allemagne, notamment, soulève des questions cruciales sur l’état des libertés démocratiques en Europe. Derrière les justifications sécuritaires ou la lutte contre l’antisémitisme, c’est la capacité des citoyens à exprimer leur solidarité et à critiquer les politiques étrangères qui est en jeu. D’aucuns estiment que ces restrictions ne font qu’enflammer les tensions et miner la confiance dans les institutions démocratiques.
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