L’entrée en matière est directe. L’ancien lieutenant-colonel et auteur du blog “Ne pas subir” est l’invité de nombreux médias et, depuis des mois, il commente régulièrement cette guerre urbaine. L’analyste est péremptoire : “ni le Hamas ni Israël ne veulent signer la paix”, et c’est la grande difficulté de ces négociations relancées depuis le 15 août au Caire en Egypte.
“Les Etats-Unis ont un rôle clé. Ils sont le pourvoyeur principal des armes à Israël et ce pays n’a pas de stocks de munitions. Si Washington arrête demain ses livraisons, une semaine après, Israël devra arrêter de bombarder.” Guillaume Ancel s’étonne que Joe Biden n’ait pas réussi à imposer un cessez-le-feu à Netanyahu ; une erreur, selon lui. La question est jusqu’à quand les Etats-Unis accepteront-ils de protéger Israël coûte que coûte.
Objectifs non atteints pour Netanyahu
La stratégie jusqu’au-boutiste de Netanyahu devrait interpeller Washington, selon l’ancien militaire. “Le fait que Netanyahu n’admette pas que son offensive sur Gaza est un échec et un carnage est dramatique (...). J’ai fait des estimations d’officier d’artillerie que j’ai été, à partir des chiffres de bombardements. Selon moi, il y a au moins 100 000 morts sur la bande de Gaza”.
L’ancien officier d’artillerie explique que mécaniquement, quand on effectue un bombardement sur un territoire aussi dense trois fois et demi plus de blessés en résultent. Selon le militaire, on dépasserait les 400 000 morts et blessés sur la bande de Gaza alors qu’en parallèle Israël a subi une attaque qui a fait 1 200 morts et disparus. “Ce n’est plus de la disproportion, c’est un carnage qu’a commis Netanyahu. Comment les Israéliens vont-ils justifier un carnage pareil ?”.
100 000 morts à Gaza ?
Le droit international est clair, martèle Ancel. “Quand on mène des destructions disproportionnées et indiscriminées, c’est-à-dire quand les victimes collatérales sont légion et que cela dure pendant des mois, ça s’appelle un crime de guerre”, assure-t-il.
Au début de la guerre, Israël a largué 300 bombes par jour sur Gaza, selon les contacts de l’auteur du Blog “Ne pas subir”. Aujourd’hui, l’armée larguerait 150 à 200 bombes selon les jours. “Gaza est aujourd’hui la région du monde qui a connu la plus grande densité de bombardements, tous conflits confondus”, déplore Ancel.
L’ancien militaire regarde avec circonspection les choix du gouvernement Netanyahu depuis dix mois. Les objectifs affichés par le Premier ministre israélien sont depuis le début : détruire le Hamas et libérer les otages. “Ces objectifs n’ont pas été remplis”, dit l’ancien militaire français.
Ce 20 août, six corps d’otages ont été récupérés par l’armée israélienne. Selon un décompte de l’Agence France Presse, 71 otages sont présumés vivants et seraient encore aux mains du Hamas. Mais avec les bombardements intenses réalisés par Israël, il y a peu de chances de retrouver des otages vivants, insiste l’analyste.
Le second objectif affiché est de détruire le Hamas. Rien n’indique que le mouvement a disparu.
Gaza ravagé, pourquoi autant de destructions ?
Si Israël est jugé responsable de l’assassinat en Iran d’Ismaël Haniyeh, le chef du Hamas, le mouvement reste structuré et financé. Politiquement, il est soutenu par le Qatar, la Chine, la Russie et surtout, il reste un interlocuteur important dans le conflit israélo-palestinien.
“On a l’impression d’une fuite en avant de Netanyahu comme s'il avait peur de reconnaître son échec, même quand son propre ministre de la Défense lui dit qu'il faut négocier”.
Les objectifs affichés non pas été atteints. Se pourrait-il, alors, que la stratégie du Premier ministre israélien ne soit pas celle affichée ? Guillaume Ancel analyse les faits d’un point de vue militaire. “Dans la bande de Gaza, Netanyahu a détruit très peu d'objectifs militaires. 90% des victimes sont des ‘dommages collatéraux’ et plus de 80% des infrastructures -c’est-à-dire ce qui permet de vivre ensemble- ont été détruites ou endommagées. Cela n’a pas de sens militaire. On a l’impression que Netanyahu a voulu détruire tout ce qui permet à une communauté de vivre”.
Netanyahu veut vider Gaza de ses habitants palestiniens
Les bombardements ont en effet visé les écoles, les hôpitaux, les zones d‘habitation, les maisons, les ponts, les mosquées, les églises, les infrastructures de distribution d'eau et d'électricité, les routes et les bureaux des médias. Même les champs d’olivier ont été brûlés. Selon une étude publiée en avril dernier et réalisée conjointement par la Banque mondiale (BM), les Nations unies (ONU) et l’Union européenne (UE), fin janvier, le coût de la reconstruction avoisinait 18,5 milliards de dollars.
Il faut chercher une raison autre que militaire, conclut Guillaume Ancel. “Ce que les Israéliens cherchent, c’est faire de Gaza un endroit invivable”. L’analyste rappelle que Netanyahu, dans son livre autobiographique “Bibi, mon histoire” paru en 2022, écrit que les Israéliens ne pourront jamais coexister avec les Palestiniens. “Je pense que son vrai objectif, pas celui qu’il affiche, c’est de transformer Gaza en tas de cendres : un no man's land dans lequel il restera peut-être 150 000 Palestiniens et il laissera, comme en Cisjordanie, la colonisation sauvage s’installer”.
Israël est-il en guerre contre les Palestiniens ?
Un autre aspect de la politique de Netanyahu inquiète l’analyste militaire. “Israël mène une guerre contre le Hamas mais pas une guerre contre les Palestiniens. Néanmoins en Cisjordanie, c’est le spectacle contraire qui est donné : on a l’impression qu’on a donné aux colons le droit de tuer. La Cisjordanie est devenue un territoire de colonisation sauvage”. Sa conclusion est simple, le Premier ministre israélien veut faire partir les Palestiniens de leur terre.
600 Palestiniens ont été tués depuis le début de la guerre en Cisjordanie occupée, soit lors d’attaques perpétrées par des colons soit lors d’interventions de l’armée ou la police. Ce qui fait dire à notre analyste qu’il y a une confusion dans le gouvernement Netanyahu et dans une partie de la société israélienne. En effet, avance-t-il “il y a confusion entre le Hamas et les Palestiniens. En fait, ils ne combattent pas le Hamas, mais les Palestiniens, et ça, c’est constitutif d’un crime de guerre”.
Dans cette optique, il est utile de rappeler que le bilan de la guerre à Gaza est, à ce jour, de 40 223 morts, selon le ministère palestinien de la Santé.
Guillaume Ancel vient de publier un livre "Saint-Cyr, à l'école de la grande muette", chez Flammarion