Gambie: ces médicaments qui tuent des enfants (Reuters)

La mort d'au moins 69 enfants en Gambie au cours des derniers mois suite à la consommation de sirops contre la toux contaminés a ébranlé les experts internationaux de la santé. Les enfants étaient âgés de moins de cinq ans et beaucoup d'entre eux étaient encore des nourrissons.

Il est d’usage que les parents, partout dans le monde, fassent recours à des sirops achetés en vente libre lorsque leurs enfants ont de la fièvre, des maux de gorge ou de la toux. Les médecins ne recommandent plus les sirops antitussifs, depuis qu’il a été prouvé qu'ils ne sont pas efficaces dans le traitement des causes sous-jacentes de la toux ou de la fièvre chez les enfants.

"Dans mon cabinet, je ne prescrivais jamais de sirops ou de suppresseurs de toux. D'une manière générale, les preuves de l'utilité de ces antitussifs pour les enfants sont très faibles. Nous recommandions simplement du miel et du citron comme alternative", explique Emmanuel Agogo, un expert en santé basé au Nigeria. "Les sirops ne contribuent pas à améliorer la santé de l'enfant", explique-t-il à TRT World.

La Gambie, un pays pauvre d'Afrique de l'Ouest de 2,4 millions d'habitants, ne dispose pas d'une industrie médicale importante. Les sirops ont été importés d'une société indienne, Maiden Pharmaceuticals, qui avait été confrontée à des problèmes de contrôle de la qualité.

Le 5 octobre, l'OMS a publié une recommandation de santé globale sur les médicaments pédiatriques contaminés.

Selon l’organisation, les quatre sirops - Promethazine Oral Solution, Kofexmalin Baby Cough Syrup, Makoff Baby Cough Syrup et Magrip N Cold Syrup - contiennent tous des quantités inacceptables de diéthylène glycol (DEG) et d'éthylène glycol (EG).

"D'après les tests effectués ici, le DEG trouvé dans les médicaments était d'environ 19 % alors qu'il ne devrait pas être supérieur à 0,1 %", affirme Dr Peter Adebayo Adewuyi, Conseiller résident du Programme de formation en épidémiologie de terrain de la Gambie. "C'est plusieurs fois la quantité de DEG qui aurait dû être présente", dit-il à TRT World.

Depuis près d'un siècle, le DEG - un produit chimique visqueux et sucré - est connu pour provoquer des empoisonnements massifs lorsqu'il est mélangé à des médicaments. Dans la plupart des cas, comme ce qui s'est passé en Gambie, les personnes qui prennent une forte dose de DEG souffrent d'insuffisance rénale et meurent en quelques jours.

Pourtant, à plusieurs reprises, cette substance toxique s'est retrouvée dans des médicaments dans des pays comme le Bangladesh ou Haïti et a fini par tuer des dizaines de patients.

L'organisme de réglementation américain Food and Drug Administration (FDA), dont les avis sur les médicaments sont pris en compte par les gouvernements du monde entier, a en fait été créée dans les années 1930 à la suite de décès dus au DEG.

Au nom du profit

Le premier cas d'empoisonnement collectif bien documenté impliquant du DEG s'est produit en 1937 aux États-Unis. Un médicament antibactérien sous forme liquide, appelé Élixir de Sulfanilamide, a été vendu sur le marché sans subir des tests préalables. Environ 105 personnes, dont 34 enfants, sont mortes quelques jours après avoir pris quelques cuillerées à café du médicament.

Le tollé suscité par ces décès a contraint le gouvernement américain à introduire la loi fédérale de 1938 sur l'alimentation, les médicaments et les cosmétiques, qui autorise la FDA à contrôler les médicaments et les équipements médicaux avant qu'ils ne puissent être vendus aux consommateurs. Depuis lors, des centaines de décès liés à la présence de DEG dans des médicaments ont été enregistrés ailleurs.

Le DEG est largement utilisé dans des produits industriels tels que les liquides de frein, les résines, les encres, les cosmétiques et les agents antigel. Certaines entreprises pharmaceutiques mélangent, par erreur ou à dessein, du DEG comme diluant dans des médicaments liquides par souci d’économie, à la place de la glycérine médicinale ou du polyéthylèneglycol (PEG), plus coûteux.

"Des criminels peuvent donc faire des profits en se procurant du DEG et en l'étiquetant et le vendant comme du PEG ou de la glycérine", explique à TRT World le Dr Joel Selanikio, un médecin basé aux États-Unis qui a travaillé comme consultant pour l'OMS.

Les sirops sont facilement disponibles et vendus sans ordonnance dans les pharmacies locales.

"Nous sommes confrontés à une situation sans issue : l'accès aux services de santé diminue partout en Afrique et la seule alternative pour la plupart des gens sont les pharmacies et les drogueries. Ce sont donc eux qui prescrivent la plupart des médicaments", explique M. Agogo, qui est également boursier du Programme Africa CDC - Kofi Annan.

Le gouvernement indien a assuré que les produits contaminés avaient été fabriqués uniquement pour le marché gambien. Mais l'OMS avertit que certains flacons auraient pu être introduits illégalement dans d'autres pays.

Empoisonnements en série

La société Maiden Pharmaceuticals, basée à Haryana en Inde, qui est impliquée dans les cas de décès en Gambie, n’en est pas à son premier scandale. L'entreprise a été interdite dans l'État indien de Bihar et a été sanctionnée pour avoir vendu des produits de qualité inférieure ailleurs. Elle fait partie des 39 fabricants de médicaments que le Vietnam a mis sur liste noire, selon un rapport du Times of India.

Alors que Maiden se dit "choquée" par l'incident, les autorités indiennes et l'OMS enquêtent sur la façon dont une quantité aussi dangereuse de DEG a pu se retrouver dans les sirops.

"Les équipements standard utilisés pour le contrôle de la qualité des produits pharmaceutiques, tels que la spectroscopie de masse, peuvent facilement détecter la différence entre la DEG et la PEG - s'ils sont utilisés correctement", explique le Dr Selanikio.

"Aucune entreprise de bonne réputation n'utiliserait sciemment du DEG ou de la glycérine fortement contaminée par du DEG. S'il s'avère qu'elles ont utilisé des niveaux élevés de DEG, il est très probable qu'il s'agisse d'une négligence : un très mauvais contrôle de qualité qui ne permet pas de détecter le DEG étiqueté, par exemple, comme PEG."

En effet, c'est le manque d’un contrôle de qualité efficace qui conduit à la contamination, le plus souvent, plutôt qu’une manigance délibérée.

Les autorités gambiennes sont également critiquées pour ne pas procéder à des tests sur les médicaments importés, qui sont pour la plupart en vente libre. La Gambie ne dispose pas de son propre laboratoire pour effectuer des contrôles sur les médicaments.

"Il n'est pas possible, en pratique, d'effectuer des tests sur chaque médicament importé. Même les États-Unis n'ont pas les ressources nécessaires pour le faire", déclare le Dr Adewuyi.

En dépit de nos tentatives répétées, Markieu Janneh Kaira, le directeur exécutif de l’Agence de contrôle des médicaments, l'organisme de réglementation en Gambie, n'a pas répondu aux appels ou aux messages de TRT World.

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