Au Maroc, le mois de Ramadan se déroule dans un climat tendu marqué par le manque de précipitations qui frappe de nombreuses régions du pays.
Des villes du Sud comme Marrakech et Agadir enregistrent des températures record depuis plusieurs semaines. Dimanche 17 mars, le thermomètre affichait 37 degrés à Agadir. Bien que d'importantes précipitations aient été enregistrées au cours du
mois de février, notamment dans le nord et le centre du pays ainsi que sur les plateaux du Haut Atlas, cela ne suffit pas à dissiper les inquiétudes liées à la sécheresse persistante et aux déficits hydriques dans de nombreuses régions.
Malgré les dernières pluies, la situation des barrages demeure préoccupante. Selon les données actualisées du ministère de l’Equipement et de l’Eau, le taux global de remplissage des barrages s'établit actuellement à 26,6%, correspondant à 297,9 millions de m³. Un niveau en deça de celui enregistré une année auparavant, déjà considéré comme critique par de nombreux observateurs.
Il faut dire que l’eau de pluie, destinée, en bout de chaîne à alimenter presque exclusivement les réseaux urbains en eau potable, n'a pas d'incidences majeures sur le secteur agricole, dont les besoins en eau culminent à quelque 20 milliards de m³ par an et représentent 85% de la consommation d'eau. Dans un contexte de pénurie d’eau, l’essentiel de la production agricole puise dans les stocks stratégiques (les nappes phréatiques) pour répondre aux impératifs de production et d’export.
De l'eau de l'Etat à l'eau privée
Cette réalité découle d'une série de décisions politiques, depuis toujours contestées par de nombreux spécialistes, reprochant aux gouvernements successifs des décisions incohérentes dans la gestion de l'eau. Depuis le milieu des années soixante, le Maroc a érigé sa politique agricole autour de la construction de barrages, cherchant ainsi à répondre à la problématique cruciale de déficit hydrique.
La “grande hydraulique”, bien qu'ayant contribué significativement au développement agricole, n'a pas permis d'atteindre une sécurité hydrique durable. Le paradoxe est sans appel: malgré la construction de près de 150 grands barrages, ces réservoirs affichent aujourd'hui des taux de remplissage dramatiquement bas. Cette situation s'explique en partie par les sécheresses successives et notamment la récente vague entre 2018 et 2022, période parmi les plus sèches jamais enregistrées dans l'histoire du Maroc.
Une logique exportatrice
Au-delà des aléas climatiques, c'est la stratégie même de gestion de l'eau qui est remise en question. En effet, le stress hydrique aigu que connaît le Maroc puise ses racines dans l'adoption d'une politique volontariste dont l’aboutissement fut la mise en œuvre du plan Maroc Vert (2008-2018). Cette feuille de route a longtemps promu le Maroc comme une nation à vocation agricole voire une puissance agricole, encourageant une agriculture productiviste et exportatrice.
L'agriculture marocaine, fortement conseillée par des institutions financières internationales telles que la Banque mondiale, a privilégié les cultures à haute valeur ajoutée mais également aquavores. Ce choix a non seulement accentué la pression sur une ressource hydrique déjà limitée, mais il a également marginalisé l'agriculture vivrière, essentielle pour la sécurité alimentaire du pays.
Au fil des années, la logique libérale et permissive tolérée dans le secteur agricole va aller de paire avec la diffusion des techniques de forage, qui accroît l’accès aux eaux souterraines pour l’irrigation. “Nous sommes confrontés à un étrange paradoxe, celui de chercher à obtenir une croissance infinie en exploitant une ressource finie», observe Mohamed Taher Srairi, professeur de l'Enseignement Supérieur à l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II.
L’accès facile à l'eau et le remplacement des cultures pluviales ( qui dépendent entièrement des précipitations) par des variétés plus gourmandes en eau, a conduit à l'assèchement des stocks stratégiques, notamment les nappes phréatiques.
Cette situation est particulièrement préoccupante dans des provinces comme le Souss, où l'on observe une déplétion marquée des gisements souterrains, ainsi que dans le Saïss, Berrechid et le Haouz, zones qui connaissent un tarissement progressif de leurs réserves aquifères.
Une autre pratique contribue de manière notable à l'épuisement progressif des ressources souterraines, déjà précaires. Il s’agit de la démocratisation de l'irrigation au goutte-à-goutte qui entraîne dans certains cas une surconsommation d’eau bien au-delà des besoins de certaines cultures telles que les carottes ou les pommes de terre. “Nous sommes dans une perspective de gestion intensive des ressources hydriques qui, à terme, va nous emmener à la pénurie”, résume Adel Zeggaf Tahiri Srairi, expert consultant en irrigation.
Vers des solutions novatrices
Face à une sécheresse historique, le Maroc engage une réflexion profonde sur son avenir hydrique et agricole. Les politiques antérieures, incarnées par le Plan Maroc Vert et sa nouvelle mouture, Génération Green (2020-2030), montrent leurs limites. "La situation actuelle est le fruit d'une série de paradoxes et de choix irrationnels qui ont compromis la sécurité hydrique du pays, tout en exacerbant les vulnérabilités du secteur agricole", martèle pour sa part l'économiste Najib Akesbi, pour TRT Français.
Face à ces impératifs, une transition vers des solutions novatrices pour pallier le stress hydrique s’amorce. Le déploiement d'infrastructures de dessalement, l'optimisation de la réutilisation des eaux usées, et le développement des transferts d'eau interbassins illustrent cette nouvelle direction. Ces initiatives s'inscrivent dans le cadre du Programme national pour l’approvisionnement en eau potable et d’irrigation 2020-2027 dont le budget a été revu à la hausse à 143 milliards de dirhams.
En parallèle, les contrats de nappes, introduits par l'État pour promouvoir une gestion participative des eaux souterraines, peinent à voir le jour. Établis dans le cadre de la Stratégie nationale de l'eau en 2009, consolidés par la circulaire interministérielle de 2013, ces contrats ont pour finalité d’instaurer une gouvernance collaborative impliquant différents acteurs pour une gestion durable et équilibrée des eaux souterraines. Cependant, leur mise en application se heurte à des obstacles sociaux, techniques et principalement de gouvernance.
“1,3 milliard de m3”
Face au stress hydrique, le Maroc mise sur le dessalement de l’eau de mer, considéré comme essentiel à la sécurité de son approvisionnement en eau. À ce jour, le pays exploite 11 stations de dessalement, générant 300 millions de mètres cubes annuellement.
Cela inclut la station d'Agadir, active depuis janvier 2022, l'expansion de Laâyoune, et une future installation à Dakhla prévue pour 2025, qui devrait produire près de 100 000 m³ d'eau au quotidien. Avec de nouvelles stations à Safi et Jorf Lasfar, le groupe OCP (Office chérifien des phosphates) contribue, pour sa part, à apporter de l'eau potable au profit des populations locales.
Le ministre de l'Equipement et de l'Eau, Nizar Baraka a révélé des projets de construction avec jusqu’à 20 stations nouvelles d'ici 2030, portant la capacité à 1,3 milliard de mètres cubes, répartis entre eau potable (53%), irrigation (23%) et industrie (24%).
Ce virage, bien que nécessaire, soulève des questions cruciales sur les coûts financiers et environnementaux propres au dessalement. Le défi est de taille : concilier les impératifs économiques, sociaux et écologiques dans un contexte de raréfaction des ressources hydriques.