France
Quelques jours après une mobilisation pro-Palestine sous tension à Sciences Po Paris, les forces de l'ordre françaises ont pénétré dans une autre université renommée de la capitale, la Sorbonne, pour évacuer des étudiants pro-palestiniens qui avaient installé des tentes à l'intérieur des bâtiments universitaires.
Une cinquantaine de manifestants ont été conduits à l'extérieur des locaux historiques de la Sorbonne, dans le Quartier Latin, puis éloignés en groupe, encadrés par les forces de l'ordre.
"Nous étions une cinquantaine de personnes quand les forces de l'ordre sont arrivées en courant à l'intérieur de la cour. L'évacuation a été assez brutale avec une dizaine de personnes traînées au sol. Il n'y a pas eu d'interpellation", a déclaré aux journalistes Rémi, 20 ans, un étudiant en troisième année d'histoire et de géographie.
La préfecture de police a évoqué une opération de "quelques minutes" seulement, "dans le calme, sans incident".
Le premier ministre Gabriel Attal, qui "suit la situation de près", a "demandé que la Sorbonne soit évacuée rapidement", comme "il l’avait demandé pour Sciences Po vendredi", a fait savoir son entourage.
Selon le rectorat, une trentaine d’étudiants s'étaient rassemblés à l'intérieur de la Sorbonne, où neuf tentes avaient été installées dans la cour et trois dans le hall, et un drapeau palestinien posé au sol. Selon un manifestant, les tentes étaient entre 20 et 30.
"Israël assassin, Sorbonne complice" ont notamment chanté des manifestants réunis devant la prestigieuse université, en présence de trois députés du parti La France Insoumise (LFI). 300 personnes étaient réunies en milieu d'après-midi, encadrées par la police.
"On est là suite à l'appel des étudiants de Harvard, Columbia", a indiqué Lorélia Fréjo aux journalistes, une étudiante présents sur les lieux.
Les contestations agitant certains prestigieux campus américains provoquent un vif débat politique outre-atlantique.
Appels à la mobilisation
Les interventions policières à La Sorbonne, un lieu hautement symbolique des révoltes étudiantes, sont rares. Celle-ci intervient quelques jours après des tensions à Sciences Po Paris dont une partie des étudiants s'étaient mobilisés.
Lundi, la région Ile-de-France a annoncé qu'elle "suspend(ait)" ses financements à Sciences Po Paris, soit un million d'euros prévu pour 2024, selon l'entourage de sa présidente Valérie Pécresse (droite).
Accusée par l'exécutif et les oppositions de droite de souffler sur les braises de la contestation, LFI a de son côté souhaité lundi que les mobilisations pour Gaza "prennent de l'ampleur".
Un syndicat lycéen a également appelé à la "mobilisation dans les établissements pour un cessez-le-feu dans la bande de Gaza, la reconnaissance de l'Etat palestinien et l'arrêt de la colonisation".
A Saint-Etienne, dans le centre du pays, une quinzaine d'étudiants pro-palestiniens bloquent depuis lundi matin le campus de Sciences Po Lyon, où ont été érigées des barrières de poubelles et une bannière "Stop au génocide à Gaza".
Les organisations de jeunesse favorables à la mobilisation pro-palestinienne se heurtent à l'intransigeance du gouvernement qui ne souhaite pas que le mouvement parti des Etats-Unis ne se propage en France alors que l'année universitaire touche à sa fin.
Etats-Unis
L'université Columbia à New York, d'où est parti un mouvement pro-palestinien sur des campus aux Etats-Unis, a commencé lundi soir à sanctionner des étudiants qui refusent de quitter, "sauf par la force", un campement installé depuis dix jours.
Des étudiants pro-palestiniens ont occupé, aux premières heures mardi matin, le bâtiment historique Hamilton Hall au sein de l’université.
La nouvelle vague du mouvement d'étudiants en solidarité avec la Palestine, a gagné nombre d'établissements, de la Californie (ouest) à la Nouvelle-Angleterre (nord-est) en passant par le centre et le sud du pays.
"Nous avons commencé à suspendre (administrativement) des étudiants, dans le cadre de cette nouvelle étape pour assurer la sécurité de notre campus", a annoncé à la presse le vice-président chargé de la communication de Columbia, Ben Chang.
Au lendemain d'un week-end relativement calme sur le campus, où est installé un "village" de tentes, la présidente de Columbia Minouche Shafik a lancé lundi un ultimatum expirant à 18H00 GMT. Elle a exhorté 200 occupants d'un campement à partir, à la suite de l'échec de cinq jours de négociations pour une solution à l'amiable.
Ces étudiants pro-palestiniens exigeant que Columbia, université privée, coupe les ponts avec des mécènes ou entreprises liés à Israël, avaient alors appelé à "protéger le campement".
"Nous ne serons pas délogés, sauf par la force", a crié lors d'un point de presse Sueda Polat, une dirigeante étudiante du mouvement en dénonçant "une tactique pour faire peur qui ne signifie rien face à la mort de plus de 34.000 Palestiniens".
Des dizaines de jeunes ont défilé, le visage caché par des masques sanitaires, marchant autour du campus en tapant des mains et en chantant "Libérez la Palestine", selon une journaliste qui a dénombré une cinquantaine de personnes restantes dans le petit campement dans une atmosphère détendue et sans présence policière.
"Pressions politiques"
Columbia avait assuré vendredi qu'elle ne ferait pas appel à la police de New York pour évacuer les tentes.
Mais pour Joseph Howley, professeur à Columbia, l'ultimatum lancé par la présidente Shafik équivaut à "céder aux pressions politiques externes".
La vague de protestation s'étend dans les universités américaines depuis dix jours. Le mouvement est parti de Columbia où cent personnes avaient été interpellées le 18 avril.
Depuis, des centaines d'autres - étudiants, enseignants - ont été brièvement interpellées, parfois arrêtées et poursuivies en justice dans plusieurs universités du pays.
Les images de policiers anti-émeutes intervenant sur les campus, à la demande des universités, ont fait le tour du monde, rappelant des événements similaires aux Etats-Unis lors de la guerre du Vietnam.
Cet hiver, les deux présidentes d'universités de Harvard et de UPenn ont dû démissionner après avoir été accusées devant le Congrès à Washington de ne pas faire assez contre l'antisémitisme.
D'un côté, des étudiants et enseignants accusent leurs universités de chercher à censurer la libre expression politique, de l'autre plusieurs personnalités, dont des élus républicains, estiment que les étudiants attisent l'antisémitisme.
Des étudiants juifs ont rejoint la mobilisation
"Nombre de nos étudiants juifs, et d'autres, ressentent ces dernières semaines une ambiance intolérable. Beaucoup ont quitté le campus et c'est une tragédie", a dit dans son communiqué la présidente de Columbia.
Minouche Shafik a en outre affirmé que l'université ne se désengagerait pas de ses investissements en Israël.
Au cours du week-end, plus de 350 personnes ont été interpellées dans plusieurs universités à travers le pays et le campement de Boston a été démantelé.
A l'université du Texas à Austin, un campement a aussi été démantelé et quelques personnes interpellées. Lundi, la police a utilisé des bombes lacrymogènes au poivre face aux manifestants. "Aucun campement ne sera autorisé", a déclaré le gouverneur conservateur du Texas, Greg Abbott sur les réseaux sociaux.
L'avocat Paul Quinzi, qui défend à Austin des personnes détenues, a dit estimer "à au moins 80 le nombre d'arrestations" qui "continuent".
Canada
Les étudiants de l'Université McGill, l'une des institutions les plus prestigieuses du Canada, poursuivent leur campement pour un troisième jour consécutif. Ce samedi, ils ont rejoint la vague de manifestations qui se propage à travers les campus universitaires aux États-Unis.
L'université a annoncé lundi, dans un communiqué, qu'elle entamait des discussions avec les avocats représentant les étudiants du campement afin d'établir les mesures nécessaires pour garantir leur sécurité et planifier le démontage des tentes.
Déterminés, les étudiants ont affirmé leur intention de rester sur le campus ” indéfiniment”. Cette annonce a poussé la direction de McGill à se réunir afin de déterminer les prochaines démarches à suivre dans cette affaire, avec des mises à jour attendues sous peu.
Le Mouvement des Jeunes Palestiniens à Montréal a relayé des informations concernant le campement sur son compte Telegram, signalant une augmentation de la présence policière sur le campus. “Aidez les étudiants à protéger le campement ! Montrons que le peuple uni ne sera jamais vaincu”, ont-ils déclaré.
En février, les étudiants de McGill avaient déjà mené une grève de la faim pour soutenir Gaza. Inspirés par les actions des étudiants de l'Université Columbia à New York, qui avaient organisé un sit-in sur la pelouse de leur campus pour protester contre les investissements dans des entreprises impliquées dans la guerre à Gaza, des étudiants du monde entier ont emboîté le pas.
Manifestations dans des universités de trois pays arabes
Des étudiants dans des universités en Mauritanie, en Tunisie et au Yémen ont manifesté lundi, tandis que des étudiants en Jordanie et au Liban se préparent pour des protestations similaires mardi.
Des manifestations de solidarité avec les Palestiniens, qui demandent la fin de la guerre israélienne prolongée contre Gaza depuis sept mois, ont eu lieu dans les universités de trois pays arabes lundi. Des actions similaires sont prévues en Jordanie et au Liban pour demain.
Ce mouvement fait partie d'une vague de protestations étudiantes qui a commencé aux États-Unis il y a plus de dix jours et qui s'est étendue à plusieurs pays occidentaux et musulmans, et plus récemment à des nations arabes.
Grève étudiante en Mauritanie
À Nouakchott, la capitale mauritanienne, des centaines d'étudiants ont manifesté lundi dans plusieurs institutions d'enseignement supérieur, y compris l'Université de Nouakchott, l'Institut Supérieur de Comptabilité et de Gestion des Entreprises, et l'Institut Supérieur des Études et Recherches Islamiques.
Selon un correspondant d'Anadolu, les manifestations ont répondu aux appels de syndicats étudiants, dont l'Union Nationale des Étudiants de Mauritanie, le principal syndicat étudiant du pays.
Les étudiants ont brandi des drapeaux palestiniens et scandé des slogans exigeant la fin de la guerre à Gaza.
Mohamed Yahya Mustafa, secrétaire général de l'Union Nationale des Étudiants de Mauritanie, a déclaré lors d'un discours devant les étudiants rassemblés à l'Institut Supérieur de Comptabilité et de Gestion des Entreprises à Nouakchott que ces protestations s'accompagnaient d'une grève d'un jour dans tous les établissements d'enseignement supérieur du pays.
L'ampleur de la participation à cette grève n'était pas immédiatement claire.
Mustafa a encouragé les étudiants des institutions universitaires du monde arabe à participer au mouvement étudiant global en soutien à Gaza.
Depuis le 7 octobre, Israël a lancé une offensive dévastatrice sur Gaza, qui a tué des dizaines de milliers de personnes, majoritairement des enfants et des femmes, et causé des destructions massives et une famine qui a emporté des enfants et des personnes âgées, selon des sources palestiniennes et des Nations Unies.
Malgré une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies exigeant un cessez-le-feu immédiat, le conflit se poursuit.