Alors que le Ramadan , mois de partage et de festivités, s’accompagne d’une forte hausse de la consommation, les autorités tunisiennes multiplient les déclarations pour rassurer sur la disponibilité des denrées alimentaires de base et le contrôle des prix, au moins pendant ce mois.
De nombreuses denrées, notamment celle des viandes et de certains fruits, vont être ainsi importées et subventionnées pour fournir le marché en quantité suffisante et à un prix fixé par l’État. 2 000 tonnes de bananes vont, cette année encore, être importées d’Égypte à un prix de 5 DT (dinar tunisien soit 1,50 EUR)/kg ; alors qu’en temps normal, son prix est plus du double, soit quelque 10 DT/kg (dinar tunisien soit 3 EUR). De même, une quantité importante de viandes rouges en provenance d'Espagne sera vendue à 32 DT (9 EUR) le kilo. De plus, 2 millions de litres d'huile d'olive, au prix de 15 DT (4 EUR)/L, seront distribués, tandis que près de 1 000 tonnes de sucre venues d'Algérie seront injectées quotidiennement.
Mais il en faudra plus pour convaincre les Tunisiens, devenus habitués des effets d’annonces alors que les étals restent vides. Les pénuries sont dorénavant monnaie courante et les prix ,en hausse vertigineuse. Selon les données de l’Institut national de la statistique (INS) le salaire moyen en Tunisie en 2023 était de 640 DT par mois soit environ 220 euros
"On a appris à ne pas croire les politiciens. Ils disent beaucoup de choses mais la réalité est autre. On ne trouve pas ces produits sur le marché. On doit alors acheter des produits qui ne sont pas subventionnés qui coûtent beaucoup plus cher, quand on les trouve", déclare amèrement Raja, femme au foyer à Sousse.
Les produits subventionnés, qui forment la base de la cuisine tunisienne et permettent à une large frange de la population de se nourrir tels que la semoule, le sucre, le café, le lait ou l'huile végétale, se font rare. De longues queues se forment régulièrement devant les épiceries, où les foules s’amassent pour trouver du pain, du lait, du sucre ou de la semoule. Même si les œufs et les viandes sont disponibles en quantités suffisantes, leurs prix, désormais prohibitifs, les rendent inaccessibles pour bon nombre de Tunisiens.
Crise économique mondiale, locale et changement climatique
Dans un contexte international tendu et une faible croissance locale, la Tunisie connaît ces dernières années une inflation galopante, dépassant la barre des 10% et se ressentant fortement sur le coût de la vie. Les changements climatiques ont aussi eu un impact important sur la production à la baisse de l'agriculture en Tunisie. En conséquence, les prix des denrées de base et leur disponibilité sont devenus les principaux sujets de préoccupations quotidiennes des Tunisiens. "Nous sommes devenus obsédés par les prix, confie Anis, fonctionnaire. Il est difficile de penser à autre chose tant ce qui était des basiques de la vie est devenu imprévisible et non garanti. Je ne suis plus sûr de trouver les produits de base de ma cuisine. Les prix ne font qu’augmenter et je passe maintenant mon temps à compter. Comment voulez-vous que je m’occupe d’autre chose !".
La débrouille comme mode de survie
Les Tunisiens ont aussi su adapter leurs consommation et habitudes alimentaires. Ahmed, vendeur dans un supermarché à Tunis explique : "les clients ont diversifié leur alimentation. Par exemple, la viande de mouton qui dépasse les 40 DT (11 EUR) s’achète pour certains par maigres 100 grammes, juste à peine pour donner un peu de goût au plat. D'autres ne peuvent plus se permettre l’huile d’olive et l’achètent en petites quantités en la mélangeant avec de l’huile végétale. C’est général, même chez les gens qui étaient aisés".
Marchés algérien et libyen pour combler la pénurie
Face à l'aggravation des pénuries et à l'envolée des prix, de nombreux Tunisiens se tournent vers des voies plus ou moins légales pour répondre à leurs besoins. Pour trouver de la semoule, de l’huile, du sucre ou encore des fruits secs, du fromage et des bananes, on se déplace maintenant vers les pays voisins. Les "voyages shopping" de groupes vers l’Algérie et la Libye, pour acheter des produits manquants ou trop chers sur le marché tunisien ont augmenté exponentiellement. Ces longs périples, souvent en bus et organisés par des agences de voyage, sont surtout le fait de femmes. Ils ne sont pas sans risque, car ces produits sont eux-mêmes subventionnés dans les pays voisins et il est formellement interdit de les exporter. En conséquence, les Tunisiens peuvent se faire arrêter aux frontières et s’exposer à de lourdes condamnations comme cela est arrivé plusieurs fois en Algérie.
Mais pour beaucoup de femmes comme Kawther, femme au foyer, qui se rend régulièrement en Libye pour rendre visite à des proches et acheter des produits alimentaires, ces voyages sont devenus une nécessité. "On ne trouve plus en Tunisie tout ce dont on a besoin. Je ne peux pas laisser mes enfants sans lait. Je m’approvisionne en Libye pour toute ma cuisine. Tout y est moins cher. C’est vrai que c’est fatiguant et risqué à la douane, mais c’est comme ça que nous survivons".
Ce commerce parallèle nourrit une nouvelle forme de contrebande alimentaire et d’économie informelle.