“(…) on n’a pas pu trouver de solution pour éviter les coupures d'internet à tout un pays lors des examens de fin d'année. Ce n'est plus une question de capacité à endiguer la triche, mais une sérieuse faillite de gouvernance”. Comme beaucoup d’Algériens, le président du Rassemblement pour la Culture et la démocratie (RCD), Atmane Mazouz, est agacé. Depuis dimanche 9 juin, les Algériens sont privés de connexion Internet durant quasiment toute la journée afin d’empêcher la triche au baccalauréat.
Depuis au moins sept ans, les Algériens ont un rendez-vous précis chaque début du mois de juin : ils doivent se passer de connexion Internet, et plus particulièrement de l’accès aux réseaux sociaux, cinq jours durant les épreuves du baccalauréat, le principal examen qui permet aux lycéens d’accéder à l’université. La raison ? De plus en plus de candidats aux épreuves utilisent les nouvelles technologies pour tricher lors des examens. Téléphones portables, puces électroniques, petits appareils auditifs, montres intelligentes… sont autant de moyens utilisés pour tromper la vigilance des surveillants, pourtant très nombreux durant cette période.
Comme conséquences, cette coupure d’internet a généré des désagréments aux citoyens. “J’ai essayé toute la matinée d’acheter des billets d’avions en ligne, en vain. C’est inadmissible”, se plaint Malika sur le réseau social Facebook. “J’ai essayé de trouver un taxi par les applications habituelles, rien. J’ai attendu plus de 30 minutes avant d’en trouver un”, raconte Ouahmed, technicien audiovisuel qui habite en banlieue d’Alger. Pis, des techniciens d’une entreprise travaillant dans les télécoms ont raconté, sous couvert d’anonymat, que leur société a perdu de l’argent parce que les commerciaux tentaient vainement de contacter un fournisseur étranger afin de changer des câbles. “Résultat, nous avons dû payer deux fois la même marchandise faute de pouvoir annuler une première commande”, témoigne un des responsables de la société.
En plus de la coupure d’Internet, les autorités ont mis en place une législation particulièrement sévère contre les tricheurs. Quelques jours avant le début des examens, le Procureur général près la Cour d’Alger l’a même fait savoir dans un communiqué, sans doute pour dissuader d’éventuelles tentatives de fraude. A titre d’exemple, l'article 253 bis du Code de procédure pénale stipule qu'”est passible d’emprisonnement d’un an à trois ans et d’une amende de 100.000 à 300.000 DA, quiconque diffuse ou divulgue, avant ou pendant les examens ou les concours, les questions et/ou corrigés des sujets d’examens finaux d’enseignements primaire, moyen ou secondaire ou des concours de l’enseignement supérieur ou de la formation et de l’enseignement professionnels ainsi que des concours professionnels nationaux. Est passible des mêmes peines, quiconque se substitue au candidat lors des examens et concours”. De la même manière, l'article 253 bis 7 stipule que “la peine est l’emprisonnement de cinq à dix ans et une amende de 500.000 à 1.000.000 DA, si les actes mentionnés à l’article 253 bis 6 sont commis par : les personnes chargées de préparer, d’organiser, d’encadrer ou de superviser les examens et les concours, un groupe de personnes, l’utilisation d’un système de traitement automatisé des données, l’utilisation des moyens de communication à distance”.
Sans dissuasion
Malgré ce verrouillage, les actes de tricherie ont continué, bien qu’une baisse sensible par rapport aux années précédentes ait été enregistrée. Les autorités ont annoncé, lundi 12 juin, que quatre personnes ont été condamnées à la prison ferme pour fraude aux épreuves du Baccalauréat, session 2024. Il s’agit de deux candidats libres à Alger et d’une candidate et de sa sœur à Bejaïa (Kabylie), qui ont écopé respectivement de deux ans et un an de prison ferme. A Alger, par exemple, il s’agit d’une “candidate libre en possession d’un téléphone portable et d’écouteurs au centre d’examen du CEM Youcef Ben Ibrahim El Ouergilani. Il s’est avéré qu’elle recevait les réponses de l’épreuve de langue arabe de la part d’une tierce personne”, indique le parquet, dans un communiqué, qui précise que “le deuxième cas est lié à un candidat libre qui a été pris en flagrant délit de fraude au moyen d’un téléphone portable contenant des cours d’éducation islamique, au niveau des toilettes du centre d’examen Oum Habiba, situé au quartier 05 juillet à Bab Ezzouar, à l’Est de la capitale algérienne”.
Mais comment peut-on faire entrer des téléphones et autres appareils alors qu’ils sont censés être confisqués à l’entrée ? Selon différents témoignages d’enseignants, cela n’est possible que grâce à “des complicités d’agents et de professeurs”. Mais cela «reste marginal», selon Messaoud Boudiba, secrétaire général du syndicat national des professeurs de l’éducation de l’enseignement secondaire et du secteur ternaire de l’Education nationale (SNAPESTE). Parfois, ce sont des parents qui encouragent leurs enfants à recourir à la triche en les aidant depuis l’extérieur. “L’examen du baccalauréat représente, aux yeux de nombreuses familles, comme une seule étape décisive pour l’avenir de leurs enfants ; ce qui crée une pression sur les élèves et les familles, d’où le sentiment de réussir à tout prix”, analyse Meziane Meriane, un pédagogue qui a passé plus de 40 ans dans l’Education nationale.
Pour certains pédagogues, il existe pourtant des solutions sans recourir aux coupures d’Internet. “Nous pouvons équiper les centres d’examen de brouilleurs de réseaux pour rendre les appareils inefficaces”, plaide Messaoud Boudiba qui estime par ailleurs que des sanctions pédagogiques sont suffisantes pour punir les élèves tricheurs.